Chambre de Maxence Roy

Chapelle du Campus

Précédant Hazel, Maxence venait d'entrer dans sa chambre. Certes, la galanterie aurait voulu qu'il s'effaçât pour laisser entrer la jeune fille en premier, mais le Québécois préférait être le premier pour vérifier l'état de la pièce, quitte à "ranger" rapidement quelques effets ne se trouvant pas à leur place. Ce fut finement joué en tout cas car le gamin profita des quelques secondes d'avance pour repousser sous le lit, d'un pied discret, un caleçon gisant en boule sur la moquette avant de se diriger, l'air innocent, vers son bureau.

Certes, le lit était en désordre mais ne devait pas être dans un état pire que celui des autres agents, Hazel exceptée, du Campus. Quant au reste de la pièce, si on faisait abstraction des revues de hockey ou des jeux vidéos empilés à des endroits improbables, il n'y avait pas grand chose à en dire.

Dégageant les magasines qui encombraient son bureau et les "rangeant" en un tas approximatif par terre, Maxence installa une deuxième chaise en face de l'ordinateur sans encore s'asseoir. Saisissant son mot de passe pour ouvrir sa session, le gamin accéda au répertoire renfermant l'esquisse de son devoir. Il n'avait pas menti, l'exercice était bien commencé. Le titre était mis en haut de la page ainsi que quelques idées, inscrites en vrac, qui pouvaient figurer l'ébauche d'un plan. Définition de l'écologie, montée politique du mouvement écologiste, radicalisation de certains groupes, quelques exemples d'actions extrémistes. Mais tout cela était bien pauvre et manquait cruellement de structure.

Avec une grimace penaude, le gamin se tourna vers Hazel et reconnut.

"C'est pas l'pied, hein ?", avoua-t-il. "J'traville tout croche et j'sais pas trop comment faire..."

Debout devant l'ordinateur, Maxence hésitait encore à s'installer.

"On fait comment ? Je pitonne sur l'ordi ou tu le fais ?", demanda-t-il. "En tout cas, t'es fine de m'accommoder..."

Et d'un pas assuré, Hazel pénétra dans l'antre de la Bête.
Ou pas. Ce n'était qu'une chambre de garçon, avec un lit dans un foutoir tout enfantin, et des trucs divers et variés empilé dans un ordre tout relatif qui avaient le mérite d'en dire un peu sur le personnage. Hockey, normal pour un canadien diront les stéréotypes, jeux vidéos, normal pour un garçon dirait n'importe quelle fille, tas de magasines dont elle ne prit pas la peine de lire la couverture et qui de toute manière fut vite écartés de sa vue sur le bureau... Bref, rien d'extraordinaire si ce n'était que ouais, elle comprenait Nigel du coup quand il évoquait subtilement le côté très impersonnel de la chambre d'Hazel. En même temps, elle ne tenait pas particulièrement à ce qu'on puisse la catégoriser sur ses objets personnels.

Elle ne fit pas le moindre commentaire. A vrai dire, les goûts de décoration et l'amour du rangement la laissaient un peu indifférente. Les chambres, c'était fait pour avoir un chez soi, donc bon. Elle n'était venue ici que pour une seule chose: ce fameux devoir. Suivant Max, elle se pencha sur l'écran de l'ordinateur pour survoler le boulot fait par l'agent. C'était... Peu. Au moins le fichier était créé, c'était un début. Des idées s'y trouvaient, mais il n'y avait pas de plan clairement définit, juste des sujets à développement qui pourraient constituer un plan.

"Bah au moins tu sais de quoi tu veux parler, c'est déjà bien..."

Elle tira la chaise la plus décalée par rapport à l'ordinateur.

"C'est toi qui va taper, c'est plus simple. Après on va voir si ça peut t'aider. De toute manière les grandes lignes sont là, il faut remettre dans l'ordre et aérer tout ça. Définition c'est bien, mais je partirais aussi sur le mot écoterrorisme, ou tout du moins faire une intro en glissant de l'un à l'autre, histoire de lancer la suite de la lecture pour le prof. La question pour établir le plan est de savoir sous quel angle tu veux présenter les choses: historique, thématique?"

Bon, encore raté… Décidément, Maxence n'arriverait pas à faire faire tout le travail par Hazel, cette dernière ayant déjoué la ruse grossière visant à lui donner toutes les commandes, histoire de l'amener naturellement à rédiger toute seule.

S'efforçant de masquer sa déconvenue derrière un masque de parfaite neutralité, le gamin se laissa tomber sur la chaise qui faisait face au clavier pendant que la jeune fille s'installait juste à côté. Si l'intellectuelle du Campus fut déçue par la qualité du "travail" ébauché par le Québécois, elle eut la délicatesse (ou l'indifférence) de ne rien relever allant même jusqu'à féliciter le garçon pour les trois malheureuses idées jetées en vrac.

Et, immédiatement après, les choses se gâtèrent légèrement lorsqu'Hazel prit les choses en mains, entrant, sans perdre de temps, dans le vif du sujet. Un peu perdu, Maxence laissait passer l'orage, essayant de comprendre de quoi il s'agissait. Cela ne se passait vraiment pas comme il l'avait initialement envisagé. L’Écossaise, pourtant bien plus expérimentée que lui dans ce domaine, lui demandait une participation active alors qu'il aurait été plus logique, du moins du point de vu du gamin, qu'il ne soit que spectateur des événements.

Comment aurait-il pu savoir quel était le meilleur angle pour présenter la chose ? Sur ce genre de question, son ignorance atteignait presque celle de Zachary, point zéro de la virginité absolue (en matière de travail scolaire, bien entendu…).

Affichant une moue perplexe, Maxence hocha légèrement la tête pour montrer qu'il approuvait la suggestion sur la manière de présenter l'introduction.

"Je baque.", confirma-t-il. "C'est plus correct de parler dès le début de la récupération des notions d'écologie pour justifier des actions terroristes. Mais après, j'sais pas bien. C'est-tu pas plus simple de suivre un plan chronologique ? J'ai trouvé plusieurs exemples d'attentats liés à ça. Attends, j'lance le fureteur…"

Alternant avec les touches de l'ordinateur, Maxence lança une session Internet pour afficher plusieurs articles exposant des actes violents commis au nom de l'écologie.

"C'est-tu correct comme ça ?", demanda-t-il avant de poursuivre. "Tu veux dire quoi par thématique ? Genre lié au nucléaire, aux animaux, aux recherches biologiques ? Et faire le lien pour montrer qu'il y a qu'une couple de mouvements qui tire les ficelles ?"

Fallait pas rêver non plus. Hazel ne faisait jamais le travail des autres. Parfois elle donnait des réponses (fausses évidemment, mais si l'agent ne s'en rendait pas compte, c'était qu'il méritait largement sa mauvaise note), et parfois elle aidait en poussant l'autre à réfléchir. Le but était d'aider Max, pas d'en faire une feignasse. Il pouvait être aussi contrarié qu'il voulait, masqué ou pas, l'écossaise s'en fichait pas mal. C'était ça ou il se débrouillerait tout seul. Dans les deux cas, le canadien ne pourrait faire que des progrès et elle aurait obtenu ce qu'elle voulait. Ce n'était certainement pas Zack qui allait lui donner un devoir sérieusement exploitable.

Les mains sagement posées sur ses genoux, elle écoutait la réponse de Max et une évidence la frappa. Il nageait un peu plus que ce qu'elle pensait et sautait déjà sur l'ami gogole, signe qu'il n'avait fait que très vaguement survoler le sujet sans vraiment lire quelque chose avec attention, sans quoi il aurait probablement déjà trouvé le bon filon pour lui. Il y avait déjà des articles, mais il semblait s'être déjà perdu en route.

"Chronologique, c'est bien. Stable, basique, un truc qui marche en général..."

Elle haussa les épaules. C'était son choix premier quand elle n'avait pas envie de se fouler. Des faits et rien que des faits, de la structure, bref, un exposé sur un phénomène humain comme un décrirait les caractéristique d'un goéland en cours de biologie. Juste, objectif, mais concrètement sans réel travail de réflexion. Encore que ça suffisait immanquablement pour avoir la moyenne.

"Thématique, c'est très large. Effectivement lié au nucléaire, aux animaux, ou aux régions, aux cultures, ou encore aux méthodes employées, c'est tout à ton imagination. L'idéal c'est surtout de bien lire les articles et de partir sur ce qui t'as le plus marqué. A partir de là, les liens apparaissent comme par magie et tu sais où tu veux en venir au final. Attend."

Elle tendit une main pour tirer un peu plus l'écran vers elle avant de se pencher à moitié sur le clavier pour piquer la souris de Max et faire disparaître les fenêtres de l'écran comme si elle voulait que rien ne puisse attirer l'attention, puis elle tourna sa chaise pour faire face à son camarade.

"Dis-moi comme ça, sans trop réfléchir, ce que tu te souviens avoir lu sur le sujet, ce qui t'a surpris, déplu, intéressé, ou juste laissé indifférent."

Déjà pour voir si il avait même regardé les articles trouvés en diagonale.

"eh…", protesta mollement le gamin lorsqu'Hazel s'empara de la souris pour prendre la main sur ce qu'il se passait sur l'écran de l'ordinateur.

Avait-il bien ouvert seulement les fenêtres "utiles" à son exposé ? Ou allait-il y avoir un pop-up parasite, vantant les mérites de demoiselles en petites tenues, qui allait surgir brusquement ? Non pas que Maxence soit un inconditionnel de ce genre de sites – bien moins que Zachary en tout cas – mais il pouvait, dans un moment de faiblesse en ouvrir un, en arrière-plan, pour se changer les idées de temps en temps pendant des recherches plus studieuses. La technique était particulièrement efficace – dixit Zach encore une fois – et était supposée accroître le rendement du travail principal (à condition du moins que le temps consacré au travail principal soit supérieur à celui passé à se changer les idées).

Un petit coup d'œil plus tard et le Québécois poussa un imperceptible soupir de soulagement en constatant qu'il ne restait que son fond d'écran (représentant une magnifique mise en échec effectué par un joueur de l'équipe des Canadiens de Montréal) ornée de quelques icônes permettant des accès rapides à divers programmes, à l'exclusion de tout autre image non désirée à l'instant présent. Ainsi rassuré, le gamin put alors prêter une oreille plus attentive aux questions de la jeune fille.

Il devait répondre sans réfléchir (ça tombait bien, il était particulièrement doué pour ça…) et faire part de ses impressions sur les différents cas d'éco-terrorisme qu'il avait répertoriés ou simplement survolés lors de ses (brèves) recherches. Les premiers clichés qui remontaient à sa mémoire étaient ceux ayant causé les plus grandes destructions visibles, attentat à la centrale nucléaire de Torness en Écosse, destruction d'une plate-forme pétrolière dans le golfe du Mexique, incendie de cultures d'OGM en Inde et en Argentine. Hésitant un peu, comme s'il avait peur de dire des bêtises, Maxence cita ces exemples comme étant ceux qui lui revenaient spontanément.

"Euh, en fait…", poursuivit-il. "C'est quand y'a des dégâts en masse ou des morts que ça attire plus l'attention… Tout le monde se fout d'la vieille sacoche qui crie 'sauvez les bébés phoques' mais on écoute celui qui coule un bateau qui les chasse…"

Le garçon marqua là un moment d'arrêt, observant la réaction d'Hazel. Loin d'être sûr de lui, il guettait un signe d'approbation lui montrant qu'il était sur la bonne voie ou, au contraire, une remarque prouvant qu'il faisait fausse route.

Il aurait tout aussi bien pu avoir en fond d'écran Amadédé Mozart jouant la flûte enchantée avec un autre genre de flûte que ça ne lui aurait fait ni chaud ni froid. Encore que. Non, en fait, ça l'aurait même plutôt scandalisée, mais elle aurait vite mis ça sur l'influence peu productive d'un certain t-shirt bleu marine. Puisque Zack devait servir à quelque chose, autant que ce soit à donner le mauvais exemple et servir de tête de turque.

L'hésitation par laquelle sembla débuter Max confirmait malheureusement que sa lecture n'avait été que très superficielle. Attendait-il qu'une structure se présente sans même avoir approfondit le sujet? A croire que l'agent s'attendait à ce que l'inspiration divine lui souffle les mots d'un rapport tout fait. Fallait pas rêver!
Mais quand il se lança, elle remarqua qu'il y avait déjà de l'exploitable.

"Ce que tu viens de me dire pourrait être écrite quasiment mot pour mot dans une introduction."

Bah c'était pas si difficile. A partir de là, il pouvait ensuite partir sur une définition, puis faire un parallèle entre le côté horrible et pourtant efficace de l'éco-terrorisme.

"Tu pourrais presque faire un débat sur qui de l'éco-terroriste ou de l'écolo engagé a le plus de chance de faire entendre sa cause. Et à partir de là, tu as déjà la raison même d'exister du terrorisme. Tu vois, c'est plus facile que ça en a l'air."

Elle jeta un coup d'oeil à l'écran dénué d'image choquante du canadien.

"T'as plus qu'à partir là-dessus pour l'intro, faire des définitions, et exploiter ce que tu viens de me dire en te servant des articles que tu as lu. Tu peux même te servir de google pour ça, en montrant par exemple quelles pages ont été le plus lues, ce qui prouve que telle ou telle action a plus d'impact."