Sur la piste de GAVROCHE

Depuis le rapport de Gepetto et le point de situation qu'elle avait fait avec l'albinos et Hazel, Eleutheria Moore n'était pas restée inactive sur le dossier "GAVROCHE". Elle avait, bien entendu, activé la voie réglementaire en rédigeant une correspondance à destination du directeur du MI 5, demandant des explications. Parallèlement à cela, elle avait utilisé ses relations au sein des différents ministères ainsi que ses contacts, plus ou moins officiels, dans les différents services de renseignements à travers le monde.

Jusqu'à présent, ces différentes investigations étaient restées sans suite. Personne ne semblait accréditer la thèse qu'un pays ait recours à des espions en culottes courtes pour collecter des informations ou mener des missions secrètes. Cela prouvait bien que la situation n'était pas aussi innocente qu'il n'y paraissait. Certes, rien ne remontait sur une organisation française mais rien ne transpirait non plus sur une organisation similaire mandatée par la Grande-Bretagne. Or, la directrice de CHERUB était particulièrement bien placée pour connaître la vérité en matière d'espionnage britannique.

Aussi, la vieille chouette s'était-elle décidée à actionner d'autres réseaux, beaucoup moins avouables, pour, non pas se faire confirmer l'existence de GAVROCHE, mais essayer de retrouver la trace des agents présumés de cette organisation, du moins des deux soupçonnés actuellement. Tout ce qu'elle possédait était une photo des intéressés (heureusement ses propres agents n'étaient pas trop rouillés et avaient conservé l'habitude de ficher les différents contacts qu'ils croisaient) et quelques renseignements d'ordre administratif come le nom, la date et le lieu de naissance, à supposer que ces dernières données soient bien exactes.

Pendant de longues semaines, il ne se passa rien mais, récemment, une information était remontée. Le fameux Daniel, cher aux cœurs d'Hazel, Zachary et Bryn, venait de faire surface en France.

Sans perdre de temps, Eleutheria Moore usa de son influence pour pouvoir envoyer des agents sur place. Elle réussit à convaincre le comité d'éthique (et le ministère des finances qui voyait d'un assez mauvais œil le gaspillage des deniers publics pour un objectif qui n'était pas nettement défini) de la nécessité d'aller enquêter, en toute discrétion, auprès de ce Daniel pour essayer de se faire une idée.

Une petite équipe serait donc envoyée sur place et la directrice attendait l'arrivée de Maxence Roy, de Sandji Jones et de José Boogie, les agents francophones qu'elle avait choisis pour cela.

Une convocation au centre de contrôle. Voila bien une chose qui ne se refusait pas lorsqu'on était un agent aussi avide d'aventures que l'était Maxence. Tout en se préparant pour ce qui ne pouvait pas être chose que l'annonce d'un départ en mission, le garçon devait faire des efforts surhumains pour calmer son impatience et ne pas se précipiter ventre à terre (rien que sur une gosse plutôt, si on voulait utiliser le vocabulaire imagé du gamin) vers le bâtiment au risque d'arriver largement en avance.

En effet, le message qu'il avait reçu pour "l'inviter" à cette réunion émanait d'Eleutheria Moore en personne et, s'il était exclu d'arriver en retard à une convocation de la directrice, il l'était tout autant d'arriver trop nettement en avance, tant la femme plaçait la précision et la ponctualité en tête (au milieu d'une bonne douzaine d'autres) des vertus à cultiver.

Intrigué sur sa destination future, le jeune adolescent se perdait en conjoncture. Il avait été fort déçu de ne pas être appelé avec la vague d'agents dispersés en Europe pour démanteler un trafic d'armes d'autant que son meilleur ami était de la partie. Quand pourrait-il donc partir en mission avec Zachary ? Ça devait être amusant de côtoyer le t-shirt bleu marine dans un contexte plus "officiel" que celui des virées habituelles où les deux garçons rivalisaient d'ingéniosité pour échafauder des bêtises mémorables, comme la fois où ils avaient introduit de la poudre urticante dans le système d'eau alimentant les douches du bâtiment junior. Ils ne pensaient vraiment pas que ce produit puisse être aussi efficace après un séjour prolongé dans l'eau. Voir les t-shirts rouges sortir, nus, de la salle d'eau se grattant comme des forcenés tout en pleurant d'énervement avait provoqué un véritable fou rire chez les deux complices, arrivés "comme par hasard" dans la salle de jeu à ce moment là.

Il était quand même surprenant que l'encadrement de CHERUB n'ait jamais pensé à associer une entente aussi parfaite entre deux agents pour accomplir une véritable mission. À moins justement qu'ils ne craignent que le tempérament fougueux des deux garçons ne les poussent, en voulant se surpasser, à commettre des imprudences préjudiciables.

Finalement, l'heure de la convocation arriva enfin et Maxence se dirigea d'un bon pas vers le centre de contrôle. La tenue adoptée était très classique, t-shirt gris vaguement repassé et pantalon de treillis. Aux pieds, l'adolescent avait lacé une paire de rangers presque impeccablement cirées, ce qui représentait déjà un gros effort.

Poussant la porte du local où l'attendait déjà la directrice, le Québécois se rendit compte qu'ils allaient être en nombre restreint. En effet, seuls trois sièges étaient disposés face au bureau.

"Allo, madame. J'suis l'premier", s'étonna-t-il avant d'aller s'asseoir sur l'invitation de la femme. "Qui c'est-y que j'ai clanché ?"

(désolé de l'attente, je vais pouvoir accélérer au niveau de mes réponses)

"C'est moi..."

fit Sandji en entrant juste à la suite de Maxence, il n'était pas trop sûr de ce que clancher voulait dire, mais il en avait une petite idée vu le sens de la phrase. Pas Vraiment réveillé, il venait de recevoir la convocation de la directrice. Il était assez étonné de partir si rapidement en mission. Il espérer qu'il serait avec une bonne équipe. Il n'avait pas envie de rater sa première mission officielle... Déjà qu'il n'était pas en avance. Pour gagner un peu de temps, il n'avait pas prit le temps de prendre une douche et n'était pas non plus coiffé. Mais il fut ravi de voir qu'il serait avec Maxence. Le Québécois était assez expérimenté et il savait bien mieux se battre que lui.

Jetant un regard dans le couloir, avant de vraiment rentrer dans le bureau, il finit par demander.

" Y'aura qui, à part nous deux?" Il attendit la réponse avant de fermer la porte et de remarquer qu'il n'y avait que trois sièges. Il alla se placer prêt de Maxence en lui jetant un regard malicieux et complice. Le petit pakistanais espérait qu'il allaient pouvoir s'amuser un peu pendant la mission

Levant brièvement les yeux au ciel à l'arrivée de Maxence, Eleutheria Moore fit signe aux deux agents d'aller s'asseoir tout en commentant.

"Monsieur Roy, j'espère que vous êtes capable d'adopter un vocabulaire plus neutre lorsque vous le voulez.", sourit-elle. "Sinon tous les espoirs que nous mettons en vous seraient vains..."

Laissant le temps aux enfants de prendre place devant son bureau, la directrice reprit.

"Bienvenue à vous deux. Vous avez été sélectionnés grâce à votre connaissance de la langue de nos voisins d'outre-manche. Du moins, votre supposée connaissance...", précisa-t-elle en fixant le Québécois qui se recroquevilla légèrement sous ce regard inquisiteur. "En attendant que votre camarade nous rejoigne, je vais commencer à vous dresser le contexte. Que diriez-vous d'une petite virée en France ?"

Saisissant le dossier posé devant elle, la vieille femme l'ouvrit pour le parcourir une nouvelle fois, sans faire mine de le donner aux futurs équipiers.

"Vous êtes au courant des rumeurs, partiellement confirmées, concernant l'existence d'une association "soeur" de CHERUB ?", demanda-t-elle par pur formalisme. Elle avait, en effet, veillé en personne à ce que tous ses agents soient informés de la possibilité de se trouver en présence de membres de GAVROCHE. "J'aimerais beaucoup en apprendre davantage sur cette organisation et me faire une idée précise sur ses modes d'action"

Le ton est calme. Eleutheria Moore, fidèle à ses habitudes, se perdait dans de longues digressions avant d'arriver eu cœur du sujet, mettant une nouvelle fois à rude épreuve la patience de ses jeunes interlocuteurs.

Dieu que Maxence aurait préféré se trouver ailleurs lorsque la vieille chouette se mit à le scruter du regard, lui reprochant une nouvelle fois toute la poésie de son vocabulaire. Il n'était jamais agréable de se faire fixer de la sorte, surtout par une femme du tempérament de la directrice de CHERUB. Lorsqu'elle le regardait ainsi, il avait toujours l'impression que la femme était en train de lire dans son esprit, arrachant ses pensées les plus secrètes pour les décortiquer.

Ravalant sa salive, le gamin se tortilla sur sa chaise, tout en lançant un regard en coin à son voisin qui venait de prendre place à côté de lui. Mal à l'aise, il essaya quand même de se défendre.

"B... beau dommage...", bafouilla-t-il. "Euh, je veux dire bien sûr... Je peux parler le français de France. C'pas trop though, euh j'veux dire difficile..."

Comprenant enfin que la meilleure chose à faire était de fermer sa bouche, Maxime se tut soudain, le visage écarlate, attendant la suite du briefing. L'allusion à GAVROCHE arracha une nouvelle exclamation au garçon qui se redressa soudain en hochant la tête.

"C'est-tu pas rapport avec le gars qu'a fourré Zach et les autres à Jersey ? Euh, j'veux dire qu'a enfirouapé, euh roulé plutôt, Zach et les autres ?", répondit-il précipitamment. "Ils l'ont trusté trop facilement. Euh, j'veux dire qu'ils auraient pas dû lui faire confiance si vite..."

Le pauvre gamin faisait des efforts manifestes pour surveiller son vocabulaire mais tout n'était pas encore parfait du premier coup.

"Et c'est nous-autres, avec Sandji et qui d'autre déjà, qu'on va devoir écornifler ? Euh, pardon, trouver des infos sur eux ?"

Eleutheria Moore ne sourcilla pas à l'arrivée du garçon encore essoufflé par sa course récente. Elle se contenta de le regarder fixement, attendant qu'il se taise et s'assoie pour reprendre son petit exposé.

"Merci, monsieur Boogie, d'avoir fait l'effort de nous rejoindre.", dit-elle de sa voix calme. "Je venais d'expliquer à vos camarades que j'envisageais de vous envoyer passer quelques jours à Paris. Vous n'avez rien contre le fait d'aller manger de la viande crue ou des cuisses de grenouilles ?"

Jetant un nouveau coup d'œil sur le dossier qu'elle tenait à la main, la directrice poursuivit.

"Comme je le disais, votre mission sera en relation avec la possible existence d'une organisation concurrente…" La femme s'interrompit pour consulter ses notes. Une telle chose était probablement inutile en raison de l'extraordinaire mémoire de la vieille chouette mais elle avait le mérite de faire durer un peu le suspense. "Une organisation qui porterait le nom de GAVROCHE si j'en crois certaines sources…"

Posant enfin le dossier à plat sur son bureau, Eleutheria Moore le fit pivoter pour le mettre dans le bon sens pour les trois enfants assis en face d'elle. Sans dire un mot de plus, elle ouvrit la couverture, dévoilant l'ordre de mission qui se trouvait sur la première page.

Citation :

ORDRE DE MISSION DE MAXENCE ROY, JOSE BOOGIE ET SANDJI JONES

CE DOCUMENT EST ÉQUIPÉ D'UN SYSTÈME ANTIVOL INVISIBLE. TOUTE TENTATIVE DE SORTIE HORS DU CENTRE DE CONTRÔLE ALERTERA IMMÉDIATEMENT L'ÉQUIPE DE SÉCURITÉ.


NE PAS PHOTOCOPIER - NE PAS PRENDRE DE NOTES

Destination : Paris (France)

Contexte : GAVROCHE semble être le pendant français de CHERUB. Leur activité est également secrète et engage des enfants dans des activités d'espionnages diverses. Des agents de CHERUB ont rencontré leurs homologues français supposés durant trois missions, deux avec certitude à Jersey et à La Valette, l'autre avec davantage de doutes à Rochester.

Récemment, l'enfant qui se trouvait à Jersey et rencontré par trois agents de CHERUB a été repéré dans un hotel trois étoiles de Paris. Son identité réelle est inconnue. Il serait né le 17 septembre 2002 à Rouen, et se nommait à Jersey "Daniel Lefranc", fils de Jacques Lefranc, tout deux ayant disparu à la fin de la mission de Jersey.

Daniel

Il est en présence d'un autre adolescent et d'une femme, incarnant à eux trois une famille du Sud en vacances dans la capitale. La raison réelle de leur présence est inconnue, même s'il fortement suspecté qu'ils soient en mission.

Mission : L'objectif de la mission est d'obtenir des informations sur ces membres de GAVROCHE après avoir confirmé leur implication dans les services secrets français. Photos, mise sur écoute, piratage ou approche habituelle devront être utilisés pour obtenir des informations sans toutefois nuire à l'intégrité physique de ces personnes.

Rôle de CHERUB : CHERUB fournira trois agents afin d'enquêter sur les membres de GAVROCHE. Sous l'autorité de Marc Laval, l'agent ayant découvert Daniel, l'un des agents jouera son fils tandis que les autres seront des amis participant à l'excursion.

NOTE : CET ORDRE DE MISSION A ETE APROUVE A L’UNANIMITE PAR LE COMITE D'ETIQUE DE CHERUB. Cette mission est classée RISQUE FAIBLE.
Le contrôleur de mission sera Marc Laval, agent du MI 6 en poste à Paris.
Il est rappelé aux agents qu’ils ont le droit de refuser de prendre part à cette mission et qu'ils peuvent l’interrompre à tout moment de son déroulement.

Distrait par l'arrivée du retardataire, Maxence avait esquissé un demi-sourire dans l'attente des réprimandes qui ne devaient pas manquer d'arriver. Hélas, pour le coup, le garçon fut déçu. Aucun éclat de voix, ni aucun reproche, n'accueillit l'entrée de José. À croire que vraiment rien ne semblait devoir perturber l'impassibilité de la vieille chouette.

Indifférente en apparence, celle-ci s'était contentée de saluer le nouveau venu et de poursuivre son exposé comme si rien n'était. L'ordre de mission fut enfin dévoilé et le Québécois, en tant qu'aîné du petit groupe, le tourna aussitôt face à lui et se pencha pour le lire avec attention.

Ainsi, c'était lui le fameux Daniel qui avait mené en bateau ses camarades. Il avait plutôt l'air inoffensif à première vue, mais Maxence était bien placé pour savoir qu'il ne fallait jamais se fier aux apparences.

"C'est OK pour moi, chû willing.", confirma-t-il avant de rougir et de se reprendre. "Euh, j'veux dire que j'accepte la mission... J'suppose qu'c'est moi qui f'rai le fils de Laval et qu'Sandji et José s'ront mes potes ?"

S'étirant légèrement, Maxence s'adossa de nouveau à sa chaise, permettant à ses deux camarades de prendre à leur tour connaissance de l'ordre de mission.

Tranquillement, Eleutheria Moore avait laissé les trois enfants regarder attentivement le dossier et assimiler les premiers détails de leur ordre de mission. Comme elle l'avait pressenti, chacun se sentait d'attaque pour partir sur le terrain, Sandji faisant écho à ses camarades pour faire part de son volontariat.

En dépit de l’impassibilité habituelle de la femme, ses traits se crispèrent légèrement en entendant la réponse de Maxence.

"Monsieur Roy.", protesta-t-elle en fronçant les sourcils. "Vous allez réellement devoir resté concentrer durant cette mission. Votre connaissance du français est parfaite alors ne gâchez pas votre couverture par l'emploi d'une expression, certes imagée et parfaitement expressive mais qui n'aurait pas sa place dans la bouche d'un mangeur de grenouilles..."

Secouant la tête, la directrice démentit la supposition du Québécois.

"Désolé, monsieur Roy.", répondit-elle en retrouvant son sourire mystérieux. "Le rôle du Parisien sera confié à monsieur Boogie. Il possède déjà des connaissances sur la ville lumière et sera le plus crédible sous cette couverture. Monsieur Jones et vous-même seraient des amis de province venus passer quelques jours à la capitale."

Regardant alternativement les trois agents devant elle, la vieille chouette poursuivit.

"Je n'ai pas besoin de vous demander la plus grande précaution dans votre prise de contact avec ce Daniel. Il ne doit se douter à aucun moment des soupçons que nous avons sur sa personne."

Les mains posées à plat sur son bureau, Eleutheria Moore donnait ses dernières instructions d'une voix claire et mesurée. Elle fixait plus particulièrement Maxence dont elle semblait mettre en doute les facultés à se montrer discret et prudent.

Sermonné par la vieille chouette, Maxence se renfrogna en affichant une moue boudeuse mais, prudemment, préféra ne pas surenchérir. Ce n'était pas le moment de se faire remarquer davantage et le Québécois ne tenait vraiment pas à se voir retiré de la mission qui s'annonçait à cause de sa façon de s'exprimer.

De toute manière, il était un vrai professionnel et saurait, le moment venu, faire en sorte de ne pas se trahir. Et, en dernier recours, il pourrait toujours prétendre être un Canadien en voyage scolaire en France, couverture rendue plausible par son passage au rôle d'ami de province. Le Québec n'était-il pas appelé justement la Belle province…

Retrouvant le sourire, il se concentra de nouveau sur l'étude de l'ordre de mission, tout en écoutant les questions de José. On voyait bien que le "moustachu" était un bleu pour s'inquiéter ainsi de ce genre de détail. Après quelques missions, il serait beaucoup plus serein et saurait que les couvertures étaient généralement bien élaborées. Mais, dans le cas présent, il semblait croire que sa "famille de substitution" résidait à Paris et qu'il leur faudrait trouver une excuse pour pouvoir se rendre à l'hôtel alors que pour Maxence, il était évident qu'ils allaient jouer aux touristes en se prélassant dans un trois étoiles aux frais de sa Gracieuse Majesté.

"T'en fais pas pour ce genre de truc.", sourit-il. "On va s'adapter et ça se passera bien. De toute façon, on s'ra dans l'hôtel nous aussi comme clients ? N'est-ce pas ?"

Un petit regard vers la directrice accompagna cette affirmation. Maxence avait quand même besoin d'une confirmation même s'il était quasiment certain d'avoir vu juste. Il espérait également qu'Eleutheria Moore allait remarquer l'effort qu'il venait de faire en soignant son vocabulaire et qu'elle aurait, pour une fois, un petit mot gentil…

José avait-il rêvé ou était-ce bien l'amorce d'un sourire attendri qui venait de se former sur le visage de la directrice devant sa demande de précision ? Le temps de prendre conscience de ce changement subtil de physionomie, de lancer un regard de côté à ses camarades pour voir s'ils avaient constaté la même chose puis de revenir essayer de confirmer cette impression première et le gamin en vint à croire qu'il avait imaginé tout cela. Ses camarades n'avaient pas bronché et Eleutheria Moore présentait un masque impassible, tout à fait conforme à l'expression qu'elle arborait habituellement.

Bien sûr, Maxence se sentait obligé de jouer les bravaches. À croire que la fréquentation de Zachary n'ait réellement une mauvaise influence sur lui…

"Vous avez raison de vous soucier de ce genre de détails, monsieur Boogie.", contra aussitôt la vieille chouette. "Ces petites choses peuvent faire toute la différence entre un succès et un échec retentissant…"

Secouant la tête avec une moue navrée, elle poursuivit.

"Il ne faut pas se contenter de s'adapter, il faut savoir anticiper les choses. D'après le nom et l'adresse mentionnés sur la fiche d'hôtel, la femme serait médecin mais, hormis cette information,  nous n'avons aucun autre renseignement sur cette famille et nous pouvons difficilement solliciter la DCRI pour ça... Sinon, je dois bien reconnaître que monsieur Roy a partiellement raison. Vous serez également clients de l'hôtel. Il serait trop aléatoire d'espérer une rencontre fortuite au cours d'une de leur visite aussi nous avons préféré mettre toutes les chances de votre côté en réservant deux chambres à l'étage juste au dessus de celui de vos cibles. Ce sera ensuite à vous de jouer pour obtenir des renseignements par les moyens que vous jugerez les meilleurs. Votre contrôleur de mission sera là pour vous exposer votre couverture plus en détail puis pour vous orienter dans vos investigations. Il vous faudra vous conformer à ses consignes et ne pas chercher à jouer à la tête brûlée."

Tout en parlant, la femme fixait Maxence avec intensité comme pour lui remettre en mémoire certains aménagements que le garçon aurait pris avec la discipline durant des missions précédentes.

"Néanmoins, je reste persuadée que tout se passera bien pour peu que vous restiez dans votre rôle. Je vous le rappelle : ne sous-estimez pas vos adversaires. Ils ne nous sont pas hostiles à priori mais, tant que nous n'en savons pas davantage sur leur compte, il faut rester prudent."

À ce moment précis, le visage de Maxence exprimait l'innocente la plus complète, comme s'il ne se sentait absolument pas visé par les insinuations de la directrice évoquant une propension à prendre certaines libertés avec la discipline et le strict respect des ordres. Au moins, le garçon avait la décence de ne pas feindre l'indignation ou la surprise, il écoutait juste le sermon avec politesse (indifférence ?), commençant d'ailleurs à s'impatienter quelque peu devant la longueur du briefing.

Certes, José était un bleu et il brûlait du désir de bien faire mais son zèle allait à l'encontre des intérêts immédiats du Québécois qui avait des tonnes de choses plus importantes à faire comme initier Zachary à NHL 15 sur sa console (le jeune Anglais était un féru des jeux vidéos mais il ne connaissait pas le classique incontournable pour quiconque était originaire du pays des caribous), paresser sur son lit en regardant un film quelconque sur la télé à écran géant ou préparer le devoir sur la littérature anglaise du XVIII° siècle qu'il aurait déjà dû rendre voila une bonne semaine. Euh, non après tout, ce dernier point pouvait bien attendre encore un peu car Maxence n'avait toujours pas perdu espoir d'arriver à convaincre Hazel de lui confier son brouillon…

Aussi, ce fut avec beaucoup de spontanéité que le gamin leva les yeux au ciel lorsque José posa une énième question. Il ne se rendait visiblement pas compte qu'il monopolisait, pour des broutilles, le temps pourtant extrêmement précieux du Québécois.

Et bien sûr, il y avait encore à parier que la vieille chouette allait donner raison au novice…

Le briefing se prolongeait légèrement et l'impatience grandissante de Maxence n'échappait pas à Eleutheria Moore qui se gardait bien pourtant de faire accélérer la discussion. Connaissant parfaitement le caractère de chacun des enfants placés sous sa direction, la vieille femme se disait qu'une telle épreuve ferait certainement un bien fou au Québécois en l'obligeant à se maîtriser quelque peu. Elle savait que le garçon bouillait intérieurement mais savait également qu'il ne ferait rien pour compromettre ses chances de partir en mission et qu'il saurait donc se contenir pour ne pas avoir une parole malheureuse.

Regardant, tour à tour, les trois agents devant elle, José, attentif et appliqué, Sandji, intimidé et silencieux, tout à la joie d'avoir été appelé pour effectuer une mission, et Maxence, trop sûr de lui et déjà impatient de passer à autre chose, la directrice esquissa un nouveau sourire (décidemment, ce jour était bien faste) avant de hocher la tête pour montrer qu'elle appréciait la pertinence de la dernière question.

"Vous mettez le doigt sur un point particulièrement sensible, monsieur Boogie.", répondit-elle. "Nous avons la quasi-certitude que le secret entourant CHERUB n'est plus aussi hermétique que nous le pensions et nous pensons fortement que GAVROCHE, pour peu que cet organisme existât réellement, est dans la confidence."

S'interrompant un court instant, Eleutheria Moore donna l'impression de chercher ses mots afin de présenter le fond de sa pensée d'une façon intelligible pour les gamins présents devant elle.

"Par contre, l'identité de nos agents reste, à quelques exceptions près, préservée. Aussi, faites votre possible pour ne pas admettre vos liens avec CHERUB. Nous avons déjà assez d'agents dont la couverture a grillé."

Intérieurement, la femme faisait le point de ceux qui étaient potentiellement connus de GAVROCHE : Zachary Johnson, Gepetto Del Capone, Hazel Curtis, Bryn Wright, Brian Morgan et, peut-être, Leo Sparow. Cela commençait à faire beaucoup, d'autant qu'il y avait des agents expérimentés dans le lot…

"Si le gain n'est que la confirmation de l'existence de GAVROCHE, restez discrets et abstenez-vous. Néanmoins, les circonstances peuvent exiger une entorse à cette règle. Je ne peux pas prévoir tous les cas de figure mais je fais confiance à votre jugement pour prendre la bonne décision le moment venu."

La directrice avait conscience de la latitude laissée par des consignes de ce style mais elle ne parvenait pas à voir un ennemi dans cette organisation si similaire à la sienne, un rival peut-être mais pas un ennemi. De toute façon, le contrôleur de mission était là pour juger de la situation sur le terrain mais serait-ce vraiment suffisant…