2015/06/09-L- Bureau d'Eleutheria Moore - Nous ne sommes plus seuls

Assise derrière son bureau, Eleutheria Moore relisait pour la centième fois les rapports qu'elle avait sous les yeux. Un pli soucieux se devinait sur son front, perdu au milieu des innombrables rides de son visage ingrat. Il y avait quelque chose qui clochait dans ce qui était écrit sans qu'elle n'arrive précisément à mettre le doigt dessus.

Cela ne faisait que quelques jours que Gepetto Del Capone était rentré de sa dernière mission, mission qu'il avait mené à bon port par ailleurs car il avait rapidement retrouvé le jeune Brian Morgan et avait su le ramener sain et sauf au Campus, mais tout n'était pas net dans les rapports que lui avait remis chacun des deux agents.

De plus, certains éléments ressortant du rapport de l'albinos, avec les conclusions que ce dernier n'avait pas manqué d'en tirer, apportaient un éclairage nouveau sur la récente opération menée à Jersey, qui d'ailleurs n'avait pas connu un succès total. Zachary Johnson avait fait part de ses doutes concernant le rôle joué par un dénommé Daniel Lefranc mais rien n'avait pu étayer ces suppositions de façon convaincante.

Maintenant, si le déroulement de ce qu'il s'était passé à Saint-Hélier se voyait examiné en prenant en compte la possible existence d'une organisation similaire à CHERUB, appelée - la directrice compulsa rapidement les notes pour retrouver l'information écrite par Gepetto dans son rapport - GAVROCHE, beaucoup de choses pouvaient s'expliquer.

C'est pour en discuter avec le t-shirt bleu-marine et recueillir en direct ses sentiments qu'Eleutheria Moore avait convoqué Gepetto en ce milieu d'après-midi. Rien de tel qu'une petite discussion à bâtons rompus pour retrouver des souvenirs enfouis au fond de la mémoire et la vieille chouette préférait nettement une confrontation directe avec ses agents que la lecture attentive d'un rapport, aussi exhaustif soit-il.

Plongée dans ses pensées, la vieille femme attendait son agent tout en contemplant d'un air songeur les documents étalés devant elle. L'heure du rendez-vous approchait et Gepetto n'avait pas l'habitude d'arriver en retard.

Gepetto Del Capone était rentré de sa mission sept jours plus tôt, sa responsable de formation lui avait drastiquement accordé une journée de repos afin qu'il puisse taper son rapport tranquillement. Ainsi donc il avait retrouvé les cours, les entraînements et les devoirs. Puis, il avait reçu une convocation chez la directrice, il devait donc s'y rendre le mardi suivant pour 15 heures. Le matin l'albinos avait cours d'athlétisme, ainsi donc il avait passé toute la mâtiné à enchaîner des exercices physiques sous le joug impitoyable de l'instructeur d'athlétisme. Puis, après une douche dans les vestiaires et un repas en compagnie de ses amis, il était retourné dans sa chambre à quatorze heures. Gepetto était perfectionniste et détestait avoir des mauvaises notes ce qui le poussait à travailler de manière assidue, pourtant il n'avait jamais vraiment apprécié le travail scolaire et n'avait pas du tout la réputation d'un intello. Ainsi, ne se sentant pas le courage pour faire des devoirs qu'il était censé rendre rapidement, le jeune homme préféra jouer à minecraft, activité certes moins intellectuelle que le travail scolaire mais bien plus agréable.

Toutefois, malgré le côté prenant du jeu il pensait au rendez-vous, ce n'était pas la première fois qu'il était convoqué chez la directrice, d'ailleurs il avait connu des perspectives d’entrevue bien plus stressante que celle-ci. Pourtant, l'idée que CHERUB ne soit pas la seule organisation d'espionnage pour enfants le perturbait. Et cela devait bien sur perturber encore plus la chouette qui attendait probablement des explications très précise. L'albinos avait d'ailleurs rempli tout une feuille avec les éléments prouvant l'existence de GAVROCHE, éléments qui avaient été décrit dans le rapport qu'il avait rendu.

À quatorze heures quarante la montre du t-shirt bleu marine sonna, elle indiquant que l'heure fatidique approchait et qu'il fallait qu'il se prépare afin d'être à l'heure au fameux entretien. Gepetto commença par mettre du parfum, puis il se brossa les dents et se coiffa, bien sur tout cela avait été fait le matin même mais autant être sûr qu'il ne présentait pas de défaut sur le plan physique. Puis il se changea et enfila un t-shirt bleu marine et un treillis qui avaient été au préalable repassé, il était hors de question qu'il porte des vêtements froissés pour une conversation avec une supérieur hiérarchique.

Il réalisa que ses rangers étaient sales. Bien sur avec tous les passages dans la boue qu'il faisait avec cela semblaient évident. Mais cela ne l'était peut-être pas pour la chouette. Alors notre jeune protagoniste sort du matériel de cirage et commença à cirer les chaussures. Avant le programme d'entrainement initial, faire cela ne lui serait jamais venu a l'esprit, oui cette tache était avant réservé à ses larbins. Même si sur le campus Gepetto avait une certaine influence sur d'autres personnes, il doutait qu'elles veuillent bien lui cirer les chaussures. Alors il le faisait lui-même.

Une fois tout cela fait il ouvrit la porte de son armoire sur à l'intérieur de laquelle se trouvait un long miroir. Il se considéra d'un oeil attentif et décida que tout était parfait, d'habitude ce rituel avait lieu le matin et une fois dans la journée, mais l'Anglo-italien faisait toujours une exception pour les moments importants. Il porta un regard vers sa montre, il était 14h55. Avant de partir chez la chouette il retrouva son portable, puis à 14h59 l'adolescent était devant la porte, et quand il fut enfin quinze heures il frappa à la porte et entra après avoir entendu la directrice lui en donner l'autorisation. Gepetto se plaça face a elle après avoir fermé la porte, et toujours debout il déclara

-Bonjour madame
Puis il attendit qu'elle lui donne l'autorisation de s'asseoir, s'il pouvait se montrer d'une insolence incroyable avec les adultes, quand les circonstances s'y prêtaient il gardait sa politesse habituelle.

Alors qu'elle parcourait le rapport de la police maltaise, la directrice fut interrompu par trois coups brefs frappés à sa porte. Sans surprise, Gepetto était là, ponctuel et tiré à quatre épingles comme à son habitude. La vieille femme l'observa sans dire un mot pendant que le garçon s'avançait. Un mince sourire étira les lèvres d'Eleuthera Moore alors qu'elle désignait un des sièges installé devant son bureau.

"Bonjour, monsieur Del Capone. Vous êtes parfaitement à l'heure. Asseyez-vous, je vous en prie."

Elle laissa le temps au jeune adolescent de s'installer tranquillement avant d'en venir à l'objet de sa convocation.

"Tout d'abord, je tenais à vous féliciter du succès de votre mission qui fut mené en un temps record.", commença-t-elle. "J'ai parcouru avec attention votre rapport ainsi que celui de monsieur Morgan. Vous y formulez des hypothèses surprenantes concernant l’existence d'une organisation inconnue que vous appelez "GAVROCHE", hypothèses qui ne sont nullement corroborées par votre camarade. Pourriez-vous me narrer, de façon précise, les faits qui vous ont poussé à une telle conclusion."

La directrice retira ses lunettes pour les essuyer tout en braquant ses yeux dans ceux de son agent, attendant que ce dernier se lance dans ses explications. Elle savait l'albinos suffisamment méthodique pour dérouler l'exacte chronologie des différents événements. À elle ensuite de noter les petits détails insignifiants, les incohérences apparentes ou les aspects embellis par un Gepetto soucieux de souvent présenter les faits à son avantages, pour orienter la discussion et se forger sa propre opinion sur des événements susceptibles d'influer grandement sur l'emploi futur de CHERUB.

[HRP]J'ai édité ton message précédent pour y faire disparaître tes références chronologiques concernant les jours de la semaine. Comme dit dans le titre, nous sommes le 9 juin 2015 qui tombera un mardi (et non un samedi )[/HRP]

Gepetto était flatté d'avoir reçu un compliment de la directrice, toutefois il sentit une pointe d'énervement percer en lui à l'idée que Brian ne l'avait pas soutenu.Iil lui avait pourtant exposé certains faits propres à le prouver. Enfin ils n'en avaient probablement pas discuté suffisamment longtemps pour que Brian puisse appuyer, toutefois l'albinos se promit de lui rendre une petite visite dès qu'il en aurait la possibilité. Mais pour l'instant il fallait se concentrer sur la vieille femme. S'il n'arrivait pas à la convaincre de l'existence de GAVROCHE, il serait discrédité et l'organisation serait grandement mise en péril. Alors il élabora rapidement un argumentaire propre à défendre son hypothèse et sa propre personne. Le jeune homme se plaisait à défendre des causes et à argumenter, surtout quand il s'agissait d'argumenter sur une chose qui le concernait de manière personnelle et allait influencer son avenir de manière directe. Alors, toujours parfaitement droit sur sa chaise il commença à parler

-Merci, tout a commencé quand j'ai vu Léon en train de parler français au téléphone. C'est là que les soupçons sur sa personne sont nés en moi. Puis il m'a surpris en train de fouiller le bureau de la directrice de l'orphelinat, il m'a demandé ce que je faisais ici, je lui ai renvoyé la question et il alors a vu mon pistolet à aiguilles et il m'a parlé en français, langue que je ne comprends pas, puis il m'a demandé si j'étais venu pour l'aider, et enfin il m'a demandé si j'étais un agent de CHERUB. J'étais donc obligé de trouver un moyen de savoir comment il connaissait l'existence de CHERUB, donc j'ai confirmé et il m'a annoncé que des bruits couraient déjà chez lui et qu'ils en parlaient souvent. Bien sûr j'ai cru au début qu'il parlait de l'orphelinat et l'hypothèse que des orphelins maltais puissent connaitre l'existence de CHERUB était particulièrement stupéfiante, puis il m'a dit qu'il avait été envoyé à l'orphelinat chercher des preuves et que la DCRI était sur le coup. Par la suite il m'a proposé que l'on mette nos informations en commun, désireux d'en savoir plus j'ai accepté.

Après Léon n'a pas dit directement qu'il faisait partie de GAVROCHE, il se contentait de rester vaque sur sa présence au sein d'une organisation similaire à CHERUB. Toutefois, quand il a allumé son téléphone portable j'ai vu un logo s'afficher, il s'agissait d'un enfant le bras levé un pistolet a la main, une casquette sur la tete, en dessous de lui était marqué Gavroche, et Gavroche est aussi le nom d'un personnage du roman les Misérables, il fait partie de la gaminerie parisienne. Ainsi, en sachant que Léon travaillait forcément pour une organisation d'espionnage étant donné ses capacités et sa présence à l'orphelinat, que l'affaire était suivie par la DCRI et que le dossier de Filipo était classé secret défense, et que Gavroche était le logo typiquement apte à représenter des enfants travaillant ensemble j'en ai déduit qu'il appartenait à une organisation nommée GAVROCHE, ce que Brian n'a pas pu soutenir car il n'a pas été mis en contact avec les mêmes éléments que moi.

Après ce long discours Gepetto se stoppa son regard rouge était fixé sur les yeux marron de la directrice, sa gorge était sèche mais il avait donné tous les éléments à la vieille femme. Elle avait maintenant toutes les cartes mains c’était son tour de changer la donne. Les agents qui avaient jadis travaillé sous les ordres de Charles Hendersons n’étaient plus seuls et il fallait que la chouette en prenne conscience sans quoi ils étaient perdus. Gavroche finirait de les rattraper et ce serait la fin.

Concentrée, Eleutheria Moore avait écouté l'intégralité de l'argumentaire de Gepetto sans manifester le moindre sentiment. Aucun muscle du visage n'avait bougé, aucune ride n'avait tressauté pendant le déroulement de la démonstration. La vieille femme s'était contenté de fixer son agent droit dans les yeux, fouillant au-delà des mots pour apprécier le ressenti émotionnel de l'adolescent face à cette situation imprévue.

De la somme de tous ces indices, de la mise bout à bout de petits détails, anodins en apparence, elle allait être en mesure d'apprécier la situation et ferait le nécessaire pour prendre toutes les mesures qui s'imposaient. Une chose semblait certaine, la situation n'était pas aussi classique que tendait à le faire croire le rapport de la police maltaise.

Lorsque Gepetto se tut, attendant le verdict, la directrice resta encore quelques secondes sans bouger, ni parler. Un visiteur entrant dans le bureau aurait pu se croire plongé en plein milieu d'une des scénettes composant le musée de madame Tussaud. Les deux occupants de la pièce étaient pareillement immobiles, le plus jeune, pendu aux lèvres de la plus âgée.

Au bout d'une dizaine de secondes qui parurent durer cent fois plus à l'agent anxieux, la vieille chouette eut un léger recul du buste, bouleversant ainsi le parfait ordonnancement du tableau. Toujours sans dire un mot, la femme se leva, faisant le tour de son bureau, suivie des yeux par un Gepetto surpris de ce mutisme mais trop captivé pour oser briser le premier le silence qui s'était instauré.

Gagnant un des confortables fauteuils qui entouraient une table basse à proximité de la cheminée, la directrice s'assit tranquillement avant de prendre la parole. Contre toute attente, ses premiers mots n'eurent aucun rapport avec les événements relatés par le jeune t-shirt bleu marine.

"Monsieur Del Capone, rejoignez-moi, je vous prie. Je sais qu'i est encore un peu tôt pour prendre du thé mais en voulez-vous ?", s'excusa-t-elle. "Pour ma part, je pense que je vais me servir une tasse de Jun Shan Yin Zhen. Désirez-vous la même chose ou préférez-vous une autre variété ?"

Gepetto se dégagea de cette emprise que maintenait sur lui madame Moore, il détestait se sentir sous l'emprise de quelqu'un surtout quand la personne ne satisfaisait pas ses attentes. L'albinos était d'ailleurs extrêmement surpris, il venait d'exposer des éléments approuvant hautement la possibilité qu'une autre organisation d'espionnage pour enfants existe à la directrice de CHERUB et elle ne trouvait rien de mieux a faire que de lui proposer du thé. Le jeune homme se souvenait ne pas avoir apprécié Zara Asker car elle exprimait beaucoup trop son côté "mère de substitution" et Gepetto détestait ce genre de manque de professionnalisme, surtout en sachant qu'il avait perdu ses parents récemment.

Mais pourtant il savait que Zara aurait plutôt agi au quart de tour et ne l'aurait pas invité à boire du thé. Peut-être qu'Eleutheria avait une autre stratégie, veillant à ne pas montrer sa surprise il se leva et s'assit dans l'un des fauteuils. Les agents étaient en général invité a s'y assoir quand le sujet traité n'était pas grave ou alors plutôt positif. Hors le sujet abordé n'appartenait à aucune des catégories citées. La directrice voulait-elle lui dire gentiment que son hypothèse était stupide et l'envoyer chez le psy ? L'adolescent se savait très intelligent et la directrice n'ignorait pas cela et son hypothèse lui semblait totalement réaliste.

Malgré son impatience et son agacement, le t-shirt bleu marine s'appliquait à ne monter aucune émotion. Laisser voir ses émotions était, selon lui et probablement selon la vieille femme, un manque de professionnalisme grave. Le jeune homme avait toujours beaucoup apprécié le thé, en règle général il prenait du Earl grey, mais le thè que lui proposait la chouette n'était pas n'importe quel thé, il s'agissait tout d'abord du thé préféré de l'empereur Mao mais aussi d'un thé qui valait plus de cent dollars les deux cents grammes. Ce n'était pas une thè que l'on pouvait boire tous les jours même si l'albinos avait une cagnotte personnelle assez élevée... Alors d'un ton froid il déclara

-Du Jun Shan Yin Zhen ? Le thé préféré de l'empereur Mao, volontiers

Pour l'instant, il gérait parfaitement son impatience, rien n'aurait pu montrer qu'il ressentait cela hormis peut-être la crispation des muscles de son corps qu'il pouvait difficilement éviter en de telle condition . Toujours aussi impassible il attendit avec impatience la suite de la conversation, en espérant que cette fois si la directrice ne trouverait pas le moyen de détourner le sujet. L'agent de CHERUB éprouvait l'irrépressible envie de relancer lui-même la chose. Pourtant il voyait mal comment le faire sans faire preuve d'un certain manque professionnalisme.

Depuis qu'il avait reçu le t-shirt gris, le jeune homme s'était promis de ne pas mélanger émotion et travail et possédant un côté assez froid il y arrivait sans peine. Les agents qui savaient faire la distinction entre ses deux choses étaient toujours plus efficaces et le bleu marine n'aspirait qu'à la perfection. Alors il fallait qu'il reste froid comme l'était la directrice, preuve qu'être professionnel rendait plus efficace : elle était maintenant à la tete d'une importante organisation d'espionnage. Organisation qui risquait d'ailleurs de perdre de sa superbe si jamais elle n'agissait pas vite.

Hochant doucement la tête, la directrice valida le choix de son agent. Précautionneusement, elle posa un plateau, le chápán (la "mer de thé") sur sa table basse afin de la protéger et plaça dessus le cháchuán, bateau à thé contenant la théière. Puis, elle commença à effectuer les différentes manipulations héritées de la méthode chinoise de préparation du thé. Ses gestes avaient une lenteur désespérante pour le pauvre Gepetto dont la patience était ainsi mise à rude épreuve.

"Oui, ce thé était en effet celui qu'affectionnait particulièrement le Grand Timonier.", commenta-t-elle à mi-voix, avant de s'interrompre un moment, l'air songeur comme si cette évocation éveillait en elle des souvenirs.

Se pouvait-il qu'Eleutheria Moore ait connu personnellement Mao-Tsé-Toung, le dirigeant de la République Populaire de Chine ? Tout dans son attitude le laissait supposer, pourtant il aurait fallu que la femme ait été bien jeune mêlée à ce jeu dangereux de l'espionnage pour croiser la route du héros de la Longue Marche. Il fallait bien avouer qu'avec l'actuelle directrice de CHERUB, tout restait du domaine du possible tant elle se plaisait à entretenir le mystère sur son passé.

Versant délicatement le thé infusé dans la tasse devant Gepetto, elle eut un demi-sourire en croisant le regard du garçon qui faisait de son mieux pour se contenir et masquer son impatience. Après s'être servi, elle en but lentement une petite gorgée.

"Juste à point.", déclara-t-elle. "Monsieur Del Capone, connaissez-vous le gong fu cha ? Le thé préparé avec cette méthode possède un goût exquis, je trouve."

Reposant sa tasse devant elle, elle poursuivit, d'une voix toujours égale.

"Donc, vous êtes convaincu de l'existence d'une organisation similaire à CHERUB qui oeuvrerait pour les services de renseignements français ?", demanda-t-elle sans vraiment attendre de réponse. "Votre raisonnement est tout à fait remarquable et je n'y vois rien à redire. Il est néanmoins regrettable que vous ayez reconnu explicitement l'existence de CHERUB. Les membres de ce... GAVROCHE, puisqu'il semblerait que ce soit son nom, n'avaient que des suppositions. Ils auront maintenant des certitudes..."

Pendant ces reproches à peine voilés, le ton de la directrice ne s'était pas modifié. Elle restait toujours aussi calme et maîtresse d'elle-même.

"J'ai brièvement connu Marc Kilgour avant qu'il se retire des "affaires". Saviez-vous qu'il était le premier agent recruté et formé par Charles Henderson ? Votre précurseur en quelque sorte. Par contre, j'ignorais totalement qu'il eut pu mettre sur pied, au profit de son pays, une organisation similaire à celle qui l'avait formé. Mais, tout se tient, Marc était assez mystérieux et tout-à-fait capable de réaliser une telle chose..."

Lentement, la femme but une nouvelle gorgée de thé.

"Voila donc un nouvel élément à prendre en compte. Il est fort possible que vos camarades aient croisé le chemin d'un de ces agents de GAVROCHE lors de leur mission à Jersey. Cela lèverait bien des zones d'ombres sur les derniers événements."

Posant la tasse sur la table basse, Eleutheria Moore semblait légèrement songeuse, comme si elle réfléchissait déjà aux nouvelles orientations qui étaient nécessaires après cette révélation.

"Monsieur Del Capone, vous qui avez côtoyé de près un de ces "titis", quelle impression vous a-t-il fait ? Lui et ses camarades pourraient-ils constituer une menace ?"

Gepetto était soulagé, la directrice avait enfin daigné répondre aux questions qui avaient une réelle importance, il était encore une fois gonflé d'orgueil le de voir la directrice le féliciter. Tout en s'adressant lui aussi des félicitations intérieures il songea aux dernières phrases d'Eleutheria, oui en effet il était dommage d'avoir reconnu l'existence de CHERUB. Mais sur le coup la surprise l'avait gêné pour réfléchir parfaitement bien. Toutefois l'albinos était étonné de voir que la directrice avait tout de suite identifié un responsable de la création de Gavroche, Marc Kilgour. Il ignorait qu'il avait été l'un des premiers agents formé par Henderson mais dans l'idée de Gepetto, créer une organisation rivale à celle qui l'avait formé s'apparentait à de la trahison. L'adolescent songea ensuite à la mission Jersey, ainsi il n'était pas le premier à avoir été mis en contact avec Gavroche . Il espérait juste que cet autre français n'avait pas fait échouer la mission. Alors, d'un ton toujours aussi froid mais soulagé qu'on le prenne au sérieux il commença à parler

-Oui effectivement je connais cette technique elle donne du thé remarquablement bon comme vous l'avez dit fit l'ancien mafieux par pure politesse et se gardant bien de relancer le sujet, puis il but une gorgée de thé et constata qu'il avait fait un bon choix pour ensuite déclara
-Vous dites qu'un certain Marc Kilgour aurait pu crée cette organisation, il serait bon de voir s'il n'y a pas des gens qui se souviennent de ce qu'il aurait pu faire après qu'il se soit "retiré des affaires"...
L'albinos but une nouvelle gorgé de thé et continua

-Quant à la mission de Jersey il est en effet tout à fait possible qu'un agent de GAVROCHE a été mis sur le coup lui aussi, la France et l'Angleterre ont souvent eu des intérêts communs...

Et enfin après avoir exprimé son opinion le jeune homme passa au cas de Léon.

-Tout d'abord il faut savoir que Léon était jeune, onze douze ans pas plus, pourtant il s'avérait être un redoutable parleur, j'eus parfois du mal à lui soutirer des informations bien que cela fût fait, il semblait aussi présenter une grande résistance à la douleur compte tenu du faite qu'à cause de ses intrusions régulières il était souvent puni sévèrement. Il semblait très déterminé et avait d'ailleurs trouvé beaucoup d'informations, mais il manquait de discrétion, il m'a dit s'etre fait souvent surprendre durant ses intrusions et a même écopé d'un autre châtiment pour avoir élevé la voix durant le repas. Il était assez naïf l'idée que CHERUB existe ne l'a absolument pas troublée, je n'ai pas pu voir quelles capacités il avait sur le plan physique mais je pense que sa capacité oratoire pourrait le rendre dangereux pour un agent de CHERUB débutant. Toutefois, on ne peut pas juger la capacité d'une organisation à la vue d'un seul agent comme vous devez le savoir, les agents ayant effectué la mission Jersey auraient-ils fait une description de celui qui aurait probablement pu etre un agent de Gavroche ?

Puis il attendit une réponse de la directrice, toujours aussi impatientement.

Veillant à conserver une attitude neutre, Eleutheria Moore esquissa un nouveau sourire en voyant Gepetto s'évertuer à maintenir la même impassibilité que son vis-à-vis. Le jeune agent apprenait vite. S'il persévérait dans cette voie, il serait certainement promis à un brillant avenir, en dépit de son apparence physique si spécifique. L'actuelle directrice de CHERUB était la preuve vivante qu'avoir un physique aisément identifiable pouvait ne pas forcément nuire aux succès des missions. Tout était question de talent et d'intuition.

Les gestes de la femme restaient mesurés, exaspérant de lenteur et de précision alors qu'elle porta une nouvelle fois la tasse à ses lèvres, négligeant de répondre trop vite à son agent.

"Il y a bien longtemps que Marc Kilgour a disparu de la circulation.", poursuivit-elle, une fois le petit rituel achevé. "Nous ne savons même pas s'il est encore de ce monde. Il aurait plus de 85 ans aujourd'hui..."

Reposant la tasse sur le plateau, Eleutheria Moore se redressa ensuite, gardant le dos droit sans s'enfoncer plus que nécessaire dans le confortable fauteuil.

"Le dossier que vous avez eu l'intelligence de photographier comporte une photo de ce Leon. Je doute que les autres renseignements soient exacts mais connaître son apparence peut aider à le localiser, même si vous changez assez vite à votre âge..., fit-elle observer avant de répondre enfin à l'interrogation finale de Gepetto. "Les rapports de vos camarades envoyés à Jersey décrivent assez précisément un garçon d'un douzaine d'années comme étant une cause probable de fuite. J'ai d'ailleurs pris la liberté de prier l'un d'eux de nous rejoindre, un quart d'heure après le début de l'entretien que je voulais avoir avec vous."

Consultant du coin de l'oeil la pendulette posée sur une commode pour s'assurer qu'il était bien l'heure de faire entrer l'agent suivant, la directrice éleva légèrement le ton pour être entendu à travers la porte de son bureau.

"Mademoiselle Curtis ? Je sais que vous devez être là. Veuillez entrer, je vous prie."

Il était surprenant de voir avec quelle facilité la vieille femme avait anticipé tous ces événements au point de prévoir le besoin de confronter les opinions entre deux de ses agents ayant potentiellement croisé le chemin de membres de GAVROCHE.

Pour aborder le point de vue de l'équipe envoyée à Jersey, Hazel paraissait un choix logique. Le côté perfectionniste de l’Écossaise, allié à son sens poussé de l'observation et à son refus de se laisser commander par les sentiments, donnait un poids non-négligeable à son avis. Bryn était encore trop jeune et trop touché émotionnellement par la trahison supposée de Daniel pour avoir un jugement objectif. Quant à Zachary, bien que l'agent ait été, lui-aussi, à même d'apporter un éclairage opportun sur les événements, la directrice préférait le mettre un peu à l'écart pour le moment. Il était temps de faire comprendre au jeune Anglais tout l'intérêt du travail scolaire et elle ne voulait certainement pas lui donner une excuse pour manquer quelques heures de cours, surtout qu'il devait être en ce moment en cours de langue pour apprendre, enfin, les rudiments d'une deuxième langue étrangère...

Dans le couloir, Hazel croisa très peu de monde. Il fallait dire que les passages dans les bureaux des professeurs ou de la directrice n'étaient que très rarement bon signe. Ce fut à peine si elle jeta un regard en coin à un jeune t-shirt rouge qui, la tête basse, traça son chemin. Certainement un qui venait de se faire remonter les bretelles pour un devoir non fait. Une fois devant la fameuse porte, elle s'immobilisa, pour jeter un coup d'oeil à son téléphone portable. Trois minutes d'avances. La ponctualité avait son importance, mais avant de frapper, la jeune fille prêta l'oreille. Distinguant une voix qui n'appartenait pas à la chouette, elle recula d'un pas. Un peu tôt, quelqu'un d'autre passait déjà son sale quart d'heure. S'éloignant un peu, elle s'adossa au mur face à la porte qu'elle fixait sans y prêter une réelle attention. Bien que sa curiosité l'aurait poussée à écouter à la porte, elle préféra s'abstenir. Ce serait bête de se faire voir dans ce type de situation.

Elle n'avait pas entendu Bryn parler d'une convocation. Pas plus que Zack. Mais en même temps, pour le peu qu'elle les fréquentait, ils auraient tout aussi bien pu discuter avec la directrice qu'elle ne le saurait qu'à retardement. Déjà l'écossaise imaginait les scénarios les moins agréables. Tenant compte du fait qu'elle avait déjà tenu tête à la directrice une fois, la mission qu'elle jugeait être un fiasco lui laissait largement supposer un florilège de réprimandes. Le boulot en équipe n'était définitivement pas son fort, preuve en avait été faite à Jersey. Les mains dans le dos, elle baissa la tête en imaginait l'air stoïque de la chouette. Mine de rien, elle avait du respect pour cette femme. Le genre de respect qui faisait redouter non pas les punitions, mais l'inspiration de la déception. Quand elle revint fixer la porte, elle se demanda qui donc pouvait prendre tant de temps à la directrice. A moins que ce ne soit voulu? Elle jeta un nouveau coup d'oeil à son portable, pile au moment où l'heure prévue de sa convocation s'afficha. Passant l'appareil sous silencieux, elle le glissa dans la poche arrière de son treillis et s'approcha à nouveau. Tant pis si elle dérangeait, elle pouvait au moins manifester sa présence, histoire de prouver qu'elle restait fidèle à ses habitudes. Mais au moment où sa main se tournait dos contre le battant pour toquer, la voix de Moore s'éleva.
Ses lunettes lui permettaient de voir à travers les matières ou quoi? Haussant vaguement un sourcil, Hazel se demanda pourquoi ce genre de chose pouvait encore la surprendre. Obéissant à l'ordre si poliment donné, elle s'afficha une simple attitude de circonstance, polie et relativement distante, avant de presser sur la poignée.

Son regard tomba tout d'abord sur madame Moore, évidemment, puis dévia la seconde d'après sur l'albinos. Tiens donc. Elle plissa un instant les yeux, détaillant un Gepetto tiré à quatre épingles, tout en refermant tranquillement la porte derrière elle. Elle en revint à la chouette.

"Madame la directrice."

Un sourire poli accompagna son salut de la tête tandis qu'elle s'avançait, jusqu'à s'arrêter derrière le siège à côté de l'albinos.

"J'ignorais que la place était déjà prise."

Elle jeta un nouveau coup d'oeil totalement neutre à Gepetto.

"Vous souhaitez peut-être que je repasse plus tard?"

Mieux valait demander d'office l'heure de la prochaine convocation. A en juger par le thé visible dans la pièce, il était plus qu'évident que Moore était passablement occupé avec l'albinos.

Gepetto vit Hazel pénétrer dans la pièce, il ne connaissait guère l’Écossaise, il avait juste eu vent de sa réputation de travailleuse. Lui avait un certain talent pour le travail scolaire et fournissait le travail nécessaire pour avoir d'excellents résultats sans réellement travailler cent pour cent de ses capacités. Il considéra la jeune fille d'un air froid et constata une fois encore le manque d'intérêt que la gent féminine présentait pour lui. Il avait toujours été intrigué par sa propre froideur alors que certains garçons ne pensaient qu'aux filles. Mais pourtant, l'énigme que le jeune homme se posait avait une réponse simple, simple mais si dure à accepter...

Bannissant le sujet compliqué de son esprit le temps de du rendez-vous, Gepetto se concentra sur les dires d'Hazel. Ainsi la bêcheuse pensait que la directrice l'avait convoqué alors qu'un autre agent était présent à cette heure-là. C'était bien mal connaitre le côté calculateur de la chouette. D'ailleurs, le jeune narcissique qu'était Gepetto devait s'avouer impressionner par la précision avec laquelle la vieille femme avait calculé tous les événements. Il fallait à tout prix qu'il arrive rapidement à ce même niveau d'intelligence. Il ressemblait déjà un peu à la doyenne du campus mais le chemin à faire pour attendre, et dépasser bien sûr le niveau d'Eleutheria Moore serait long. Mais qu'importe il réussirait, détaillant froidement Hazel du regard il constata qu'elle faisait la même chose.

Les deux agents se ressemblaient dans leurs perfectionnismes,leurs envies de briller et peut-être dans leurs côtés maniaques. Mais les ressemblances s’arrêtaient là, le jeune homme s'estimait plus aventureux que la grise, d'après ce qu'il avait entendu dire sur elle. Poli le jeune homme salua l'Écossaise d'un ton toujours aussi froid. Il jugeait que seule la directrice était habilitée à lui expliquer les évements. oui il valait mieux qu'une adulte lui apprenne ce qu'il avait découvert. Gepetto doutait que la jeune fille s'énerve, si la directrice l'avait convoqué s'était justement car ce n'était probablement pas le genre de fille qui s'énervait en deux minutes. Impatient de voir la suite des évements le jeune attendit. Il but une gorgée de thé tout en songeant que vue de l'extérieur, la scène devait être saugrenue, un albinos en uniforme cherub buvant le thé avec une vieille femme, et une autre fille considérant la discussion. Oui cela aurait presque pus etre un tableau qui aurait eu pour titre "deux enfants et une femme buvant du thé".

"Bonjour mademoiselle Curtis.", l'accueillit la directrice sans manifester la moindre surprise à voir que la jeune fille se tenait effectivement derrière la porte. "Rassurez-vous, vous n'êtes nullement importune. Veuillez vous asseoir, je vous prie. Désirez-vous une tasse de thé ? Il s'agit d'une variété que je me fais directement livrer grâce à mes anciennes relations...

Pendant qu'Hazel prenait place à son tour, Eleutheria Moore remplit la tasse qui était posé devant elle avec des gestes doux et mesurés.

"Monsieur Del Capone était en train de développer sa théorie concernant l'existence d'une organisation similaire à la nôtre. Une organisation baptisée GAVROCHE, bien que j'ignore ce que peut bien signifier ce sigle. Elle pourrait être au service de nos voisins français."

Le ton était toujours celui de la plus stricte neutralité comme si la vieille femme était en train de commenter la finesse d'une tapisserie ou d'un canevas au point de croix. Elle ne paraissait pas particulièrement affectée par la menace sous-jacente que pouvait représenter l'utilisation d'agents mineurs sur la sécurité des propres agents de CHERUB.

"Monsieur Del Capone aurait été confronté à un de ces "titis" lors de son récent séjour à Malte. Il le décrit comme assez naïf mais doté d'une certaine résistance physique ainsi que d'une capacité oratoire supérieure à la moyenne qui pourrait le rendre dangereux pour un de nos propres agents débutants."

La directrice marqua une courte pause permettant non seulement à Hazel de savourer la boisson qu'elle avait devant elle, mais également d'assimiler les informations qui lui étaient délivrées.

"Mademoiselle Curtis.", poursuivit-elle. "Pensez-vous que le garçon que vous soupçonniez d'être au service des terroristes, Daniel Lefranc, je crois..." Tout en parlant, la femme faisait semblant de fouiller dans sa mémoire, chose inutile au fond, tant étaient intactes les capacités cérébrales de l'actuelle directrice de CHERUB. "Croyez-vous que ce Daniel, donc, puisse correspondre au profil d'un agent de GAVROCHE ?"

Tout n'était que formalité et protocole. Hazel n'afficha pas de surprise quand l'invitation fut donnée et tira simplement le siège derrière lequel elle se trouvait pour s'asseoir le plus naturellement du monde. La discussion à trois était parfaitement voulue, inutile de repartir sur la politesse d'usage et autres expressions diverses et variées pour s'éclipser. Dans le même ordre d'idée, la demande de la directrice concernant le thé aurait été tout aussi superflue, mais hé! Ils étaient là pour jouer le jeu.

"Bien volontiers, merci."

Le parfum qui s'en échappait et les propos tenu laissaient deviner de la rareté du précieux liquide. Mais elle n'en demanderait pas plus dans la mesure où il était plus que claire que l'écossaise ne s'était pas faite convoquer pour parler thés. Observant simplement les gestes de la directrice passablement ritualisés, Hazel croisa les doigts sur ses jambes croisées et écouta avec son attention habituelle. Ce ne fut que lorsqu'elle évoqua son camarade que la fillette se reposta sur Gepetto. Malgré le calme relatif placé dans les paroles de la directrices, les révélations qui en découlaient étaient autrement plus alarmantes. Alors ils avaient bel et bien de la concurrence. En cours de mission, Hazel avait soupçonné Daniel d'être à la solde du groupe terroriste, mais les informations reçues après coup l'avaient évidemment poussé sur une autre piste. Si les informations que cet "agent" avait collectées dans leur planque n'avaient pas servies à faire tuer Bornson, elles avaient nécessairement servies à quelqu'un d'autre. Ce n'était pas tant le fait d'avoir de la concurrence dans le milieu qui était gênant. C'était surtout le risque élevé d'incidents diplomatiques qui pourraient en ressortir qui pourrait leur nuire.

Revenant à la directrice, Hazel décroisa calmement les doigts pour venir saisir la tasse de thé préparée. Son attitude tout particulièrement zen n'était pas vraiment un travail de rôle à tenir, elle était tout simplement en train d'analyser les révélations avec autant d'objectivité qui lui était possible. Connaissant le caractère parfois robotique de la directrice, l'écossaise avait quelques soupçons sur l'inquiétude voire l'énervement que ces informations devaient en réalité provoquer chez la vieille chouette. Prenant la tasse à elle, Hazel se contenta tout d'abord de profiter des effluves parfumées qui s'échappaient à la surface du liquide, avant de se décider à en prendre une gorgée. En temps normal, elle aurait sans doute vraiment apprécier ce thé, mais pour l'instant, ses pensées se trouvaient bien loin d'un simple plaisir de dégustation, contrairement aux apparences. Le sourire ironique d'Hazel aurait presque pu être repérable s'il n'était pas caché par la tasse et les mains de la fillette. "Dangereux pour des agents débutants"... De son point de vue, une telle réflexion s'avérait particulièrement naïve. Une gorgée plus tard elle abaissa sa tasse pour la posé sur son genoux, en gardant les doigts autour du récipient.

"C'est ce que j'ai soupçonné, quand il s'est avéré que les informations recueillies par Daniel, ou quel que soit son nom réel, n'aient pas servies à démasquer l'agent Bornson."

Hélas il avait fallu que Zack et Bryn choisissent de prendre la poudre d'escampette. Dire qu'ils tenaient Daniel. Quel gâchis!

"Il possédait des compétence indéniablement similaires aux nôtres. Infiltration, manipulation, placement de matériel d'écoute, compétences de combat, aisance dans des activités à risque... Il correspond tout à fait aux critères d'un profil d'agent de GAVROCHE, si ce n'est d'un agent tout court. Hélas sur place, nous n'avons rien trouvé de preuve indéniable qui puisse le mettre en lien avec ce groupe."

Quel dommage.

"Cependant, si mon avis personnel et moins objectif a ici de l'importance... Je ne me permettrais pas de les considérer dangereux uniquement pour des débutants."

En prononçant ses derniers mots, elle avait jeté un regard en coin assez éloquent à l'intention de l'albinos. Pour le peu qu'elle s'intéressait aux autres agents, Gepetto n'était pas seulement un élève brillant, il possédait aussi un égo aussi impressionnant que celui de Zack.

Ainsi donc, ce Daniel était considéré comme un agent de Gavroche qui avait réussi àdémasquer l'agent Borson, Gepetto n'avait pas eu les rapports de la mission Jersey mais il devinait que l'agent français avait piégé les Anglais. Bien sûr le raisonnement d'Hazel s'expliquait, comme si elle allait admettre s'etre fait piéger par quelqu'un uniquement dangereux pour les débutants alors qu'elle était opérationnelle depuis plusieurs mois déjà tout comme Zachary et Bryn. Toutefois, le regard en coin qu'elle lui avait lancé signifiait qu'elle n'avait pas compris son raisonnement qui s'appliquait uniquement à Léon. Curieux de savoir comment tout cela s'était passé pour Hazel et ses partenaires, l'albinos commença à parler.

-Le fait qu'ils soient dangereux pour des agents expérimentés ne m'a pas échappé et cela expliquerait le fait qu'il soit la cause probable d'une fuite malgré la présence d'agents de CHERUB qui n'étaient pas entrain de commencer dans le métier, seulement mon témoignage ne portait que sur un seul de ses agents, et il était probablement débutant

L'albinos continua à boire son thé, fixant successivement la directrice et Hazel du regard, il était maintenant tant qu'il est des révélations.

-Je n'ai pas connaissance des choses qui se sont déroulé l'opération de Jersey ni même du but de cette opération, ma question est donc uniquement motivé par une certaine curiosité même si mettre les informations que nous possédons en commun pourrait éviter d'autres incidents, quels actes sont précisément reprochés à Daniel ? Et comment a-t-il pus les mettre en oeuvre ?

"Incident" était aux yeux de Gepetto un bel euphémisme pour décrire ce qui avait probablement causé un fiasco durant la mission Jersey qui était peut-être une mission importante. Un éventuel ratage expliquait aussi le fait que l'escossaise se soit empressé de demander l'heure d'une éventuelle autre convocation. Certes, il avait révélé de manière explicite l'existence de CHERUB à Léon, mais lui au moins l'avait mis dans sa poche et avait découvert l'existence de Gavroche contrairement à une équipe de trois agents plus ou moins expérimenté. Hazel lui reprochait probablement son ego aux vues du regard en coin éloquent que l'albinos avait reçu, il savait d'ailleurs que la jeune fille détestait les prétentieux et considérait les agents possédantsun grade supérieur au gris comme tels. Pour Gepetto et Zach cela s'avérait réel. Mais il ne lui avait pas reproché son incompétence ou le fait qu'elle n'est pas obtenue le fameux t-shirt.

Toujours impassible, Eleutheria Moore écoutait attentivement les commentaires et avis donnés par les deux agents présents dans son bureau. L'attitude de la femme restait volontairement neutre, comme si cette conversation n'avait pas réellement d'importance. Seul, un observateur attentif aurait pu noter un imperceptible froncement de sourcils, signe de l'agacement de la directrice devant la joute verbale à laquelle se livraient les adolescents.

"Nous n'avons aucune certitude concernant les agissements de Daniel.", répondit-elle à Gepetto, d'une voix toujours aussi calme. "Nous le soupçonnons d'avoir réussi l'exploit de mettre sur écoute notre base sur Jersey. Pourquoi a-t-il agi ainsi et quelles informations en a-t-il retirés ? Nous manquons de données pour répondre à ces deux questions."

Marquant une courte pause, le regard de la directrice se porta, tour à tour, sur chacun des enfants assis devant elle.

"Son téléphone portable a été récupéré par monsieur Johnson et est actuellement en cours d'étude par les techniciens du MI 5. Les premiers éléments dont nous disposons montrent que cet équipement est beaucoup trop élaboré pour être inoffensif. Il s'apparente même beaucoup à notre propre matériel. Nos scientifiques essaient depuis quelques temps d'en forcer le système de codage mais sans succès jusqu'à présent."

Un léger sourire se dessina sur le visage ridé.

"Quant à la façon dont il a réussi sa technique d'infiltration…", poursuivit-elle. "Ce n'est pas à vous, monsieur Del Capone, que je vais apprendre les bases de notre métier. Comme l'a fait remarquer mademoiselle Curtis, Daniel a su mettre en œuvre des techniques équivalentes aux nôtres. Je dois reconnaître que son professionnalisme m'impressionne. Il a quand même réussi à tromper la vigilance de trois agents opérationnels ainsi que d'un contrôleur de mission."

Se penchant légèrement, Eleutheria Moore reprit la tasse posée sur la table.

"D'après vos témoignages, j'ai tout lieu de penser que Daniel, Léon et leurs semblables restent dangereux pour nous. À mon avis, ils ne représentent pas une menace directe quand à notre sécurité – il est établi que l'agent Bornson n'a été démasqué que très tard et que ce n'est nullement imputable à des renseignements fournis par Daniel – néanmoins leurs actions peuvent conduire à nous mettre des bâtons dans les roues pour peu que nos objectifs divergent."

Buvant une petite gorgée, la femme s'interrompit de nouveau.

"À votre place, monsieur Del Capone, je me garderais bien de sous-estimer ces agents ou de les traiter de débutants.", reprit-elle en regardant l'albinos avec attention. "Léon a quand même réussi à vous soutirer quelques informations avant de proposer de travailler de concert sur un objectif commun. Si un contretemps ne l'avait pas distrait, il est peu probable que vous ayez réussi aussi facilement à vous tirer des griffes des services secrets français aux mains desquels il vous avait envoyés."

Reposant sa tasse sur la table basse, la directrice se plongea un instant dans ses pensées.

"Une chose est sure. Nous devons maintenant prendre en compte cette information. Il existe une sorte de concurrence à CHERUB et, bien que cette évidence ne me soit pas particulièrement agréable à admettre, nous devrons agir en conséquence en augmentant notre niveau de vigilance.", murmura-t-elle, comme pour elle-même avant de reporter son attention sur les deux agents. "Comment faire pour les démasquer et, que faire ensuite ? À votre avis, quelle devrait être notre attitude vis-à-vis d'eux ? Devons-nous les traiter en ennemis ou en alliés ?"

Les questions pouvaient peut-être surprendre les deux enfants, habitués aux prises de décisions rapides de leur directrice, mais avaient pour but de les amener à réfléchir par eux-mêmes, pour les pousser à reconsidérer la situation sans manifester de confiance ou, au contraire, d'humilité, excessive.

Admettons. Gepetto se basait sur un seul agent pour donner son avis personnel. C'était un poil simpliste mais néanmoins rationnel. L'écossaise ne chercha pas d'avantage à mettre le feu aux poudres. Son seul intérêt était de répondre à la question de la directrice en fonction de ce qu'elle avait expérimenté sur le terrain. Ce qui lui avait été donné de constater n'augurait pas grand chose de bon pour CHERUB. Elle se tut tout simplement, buvant quelques gorgées de thé en fixant al directrice, non sans prêter une attention toute particulière tant à la justification de l'albinos qu'aux questions qu'il s'empressa de poser. Pour la peine, la fillette ne répondit strictement rien. Ce n'était pas à elle de décider quelles informations avaient le droit d'être données aux agents concernant une mission effectuée par des collègues.

Elle ne fit que jeter un coup d'oeil à son camarade quand il évoqua la curiosité. Une curiosité intéressée évidemment. Sa tasse tenue devant ses lèvres pour proofiter du parfum de son thé, Hazel releva les yeux sur la directrice dont le très léger froncement de sourcils laissait entendre sa désaprobation quant à leur attitude. Message reçu, chef! Elle se repassa plutôt ses propres impressions sur le sujet. S'ils avaient été mis sur écoute, c'était probablement car à l'origine Daniel avait porté sur eux les mêmes soupçons que Zach avait proté sur Langlois au départ. Trop axée sur la surveillance des Le Sueurs, Hazel avait pour sa part négligé l'aspect humain et la bienveillance de Bryn qui s'était empressé de sauter à pieds joints dans le piège du pauvre gamin délaissé par son père et l'inviter dans leur planque. Si elle avait prêt d'avantage d'attention à ses propres camarades, peut-être aurait-elle remarqué le pot aux roses plus tôt.

Elle baissa à nouveau sa tasse quand la directrice donna plus de détails sur le fameux téléphone portable. Rien. Super. Au moins Hazel avait la certitude à présent de ne pas avoir eu affaire à un amateur. Ce qui à défaut de la soulager lui fila plutôt la pression. La plus grosse faille dans leur mission était de ne pas avoir envisagé plus tôt qu'ils n'étaient pas les seuls mômes formés à l'espionnage, peu importait le camp. Mais il fallait croire que dans ce genre de situation, Zachary, Bryn et elle-même n'étaient pas les seuls à commettre des erreurs. Elle eut un vague haussement de sourcil à l'entente d'informations données à l'adversaire/ennemi/concurrence. Par un enfant qui avait été qualifié de "débutant", en plus. Soit ils avaient un très bon niveau, soit les compétences des agents de CHERUB laissaient décidément à désirer. Hazel s'abstint de tout commentaire dans la mesure ou de toute manière, par-delà l'égo de Gepetto, elle s'estimait déjà en tort sur sa propre mission.

En revanche la question de madame Moore était tout à fait surprenante. L'avis d'enfants comptait-il pour une femme d'expérience dans la branche? Hazel en doutait. Ce n'était qu'un test de plus. S'il fallait les démasquer, pour sa part l'écossaise commencerait par se méfier de tout les mômes qui pourraient de près ou de loin agir de la manière dont elle-même agirait. Ils étaient leur propre ennemi dans l'histoire. Quant au reste, ça en se résumait pas à une seule évidence.

"Tout comportement similaire aux nôtres peut être considéré comme suspect. Sans verser dans la paranoïa, il va falloir systématiquement rester vigilant, mais concrètement, nous devrions déjà agir ainsi. Nous sommes la preuve vivante qu'il vaut mieux se méfier des enfants, non?"

Elle agrémenta sa remarque d'un petit sourire tout ce qu'il y a de plus innocent avant de poursuivre.

"Ce n'est que mon avis, mais si nous en repérons un, autant ne rien faire de trop particulier à son encontre, si ce n'est éventuellement profiter d'un relâchement pour récupérer des informations. Les missions données restent les priorités. Notre façon d'agir doit être décidée en fonction des situations."

Autant ne pas se priver d'une source d'information et d'un collègue efficace si les buts sont similaires. Encore faudra-t-il en avoir la certitude et profiter de ce qui est possible tout en ne fournissant rien d'exploitable à la concurrence. Ce serait bête de risquer l'incident diplomatique pour un petit détail lâché par mégarde.

Gepetto digéra les informations avec sa rapidité habituelle. Les agents de Gavroche étaient donc dangereux. Bon d'accord, cela expliquait le fait qu'ils aient si bien réussi leur travail. Regardant avec attention la directrice, il remarqua une crispation, elle n'appréciait pas la joute verbale de deux agents qui pourtant n'avait guère eu le temps d'aller bien loin. Décidant de laisser Hazel tranquille en songeant que s'aventurer sur le terrain de l'affrontement verbal ne ferait que nuire aux deux enfants, il continua d'écouter. Ainsi comme il l'avait pensé, l'organisation était en danger. L'albinos fut assez satisfait de voir que la directrice leur demandait leur avis, cela prouvait encore une fois l'importance des agents malgré leur jeune âge.

Certes, Gepetto était lucide ; la directrice voulait avant tout les tester. Si elle avait déjà son propre avis sur la question, les dires des enfants ne la ferait pas changer de direction. Mais, peu de gens auraient agi de la sorte et c'était pour cela qu'une once de satisfaction était ressenti par l'ancien mafieux. Buvant son thé il entendit l’Écossaise donner son point de vue. De son avis, tenter d'ignorer les agents français et se contenter de se montrer encore plus vigilant n'était pas la bonne solution. Ils avaient ignoré l'existence de l'organisation rivale durant bien trop longtemps et l'ignorance pourrait faire encore bien plus de dégât si jamais CHERUB continuait sur ce chemin-là. Non sans quitter la jeune fille du regard, le jeune homme attendit qu'elle eût fini d'émettre son avis pour parler à son tour. Reposant sa tasse il déclara donc

-Je doute qu'adopter le profil bas soit une bonne solution, certes elle sera moins risquée que si nous agissons mais les agents de Gavroches risquent comme vous l'avez dit de nous mettre des bâtons dans les roues et ils vont peut-être mêmes tenter des actions contre nous, ainsi, je pense que nous devrions agir, lancer une enquête minutieuse et peut-être même envoyer un agent du MI 5 infiltrer la DCRI où il pourrait peut-être trouver des informations sur cette organisation. Si jamais l'enquête porte ses fruits, deux options pourraient être envisageable, nous pourrions parvenir à un accord diplomatique et travailler systématiquement de concert, toutefois j'ai peine à croire que cela soit possible, nous rencontrerons forcément des problèmes créés par d'éventuelles divergences entre les deux organisations mais aussi entre la France et l'Angleterre. Outre cette première possibilité une autre chose pourrait être envisagé.

Gepetto s'arrêta, prit une inspiration et un peu de thé puis continua

-Pour l'instant CHERUB ne pourra pas faire grand-chose hormis, comme vous l'avez dit, faire preuve d'une vigilance accrue et tenter de récupérer des informations. Mais si jamais l'enquête porte ses fruits et que l'on a des éléments suffisants sur Gavroche nous pourrions tenter une infiltration et faire en sorte que Gavroche ne nous pose plus de problème.
L'albinos s'arrêta, prit une gorgée de thé, reposa sa tasse sur ses genoux puis continua

-Personnellement je pense qu'ils devraient être considéré comme des ennemis susceptibles de causer des torts à CHERUB, mais tirer des conclusions trop hâtive serait une mauvaise chose.

Puis il attendit la réponse d’Eleuthéria, ignorant si son avis allait réellement être pris en compte, il était impatient de savoir ce que penserait et ferait la vieille femme. Il espérait juste qu’elle ne dériverait pas avant de venir aux faits ce qui avait le don de l’agacer.

Imperturbable, Eleutheria Moore écoutait les commentaires et suggestions des deux adolescents qui étaient dans son bureau. D'un côté, Hazel incitait à la prudence, préférant adopter une tactique plus passive, visant à recueillir des informations. Gepetto, quant à lui, se montrait davantage actifs, prônant une infiltration des services secret français pour confirmer les renseignements sur GAVROCHE, puis une fois l'existence de cette organisation confirmée, une action plus énergique pour "régler le problème".

Un léger sourire se forma à nouveau sur le visage de la femme alors qu'elle tournait son regard vers l'albinos.

"Monsieur Del Capone, vous préconiseriez donc d'infiltrer la DCRI au risque de créer un incident diplomatique entre nos deux pays ?", demanda-t-elle, toujours aussi calme. Aucun signe de surprise ni même de désapprobation ne transpirait dans le ton employé. La directrice se gardait bien d'influencer, d'une quelconque façon, le jugement de ses agents. "Cela peut être envisageable, en effet, mais il faudra jouer de prudence. Comment compteriez-vous vous y pendre pour faire en sorte, ensuite, que GAVROCHE ne nous cause plus de problème ? Pour peu qu'il nous en ait déjà causé d'ailleurs..."

En effet, lors des deux rencontres "officielles" entre CHERUB et GAVROCHE, le supposé service français n'avait pas agi de façon menaçante. Certes, la mise sur écoute de leur base de Jersey pouvait s'apparenter à une indélicatesse mais les agents britanniques auraient certainement agi de la même façon si les rôles avaient été inversés.

Songeuse, la directrice essayait de prendre en compte tous les éléments pour jauger les risques encourus et la façon de les minimiser.

"Est-ce également votre avis, mademoiselle Curtis ?", s'enquit-elle. "Doit-on se contenter de recueillir des renseignements ? Ou devrait-on se montrer plus agressif ?"

Gepetto avait une vision autrement plus offensive de l'affaire GAVROCHE. Toujours parfaitement neutre, Hazel eut une petite pensée fugace pour cet aspect délicatement bourrin qui semblait être un trait commun des t-shirt bleus marine. Et dire que certains agents souhaitaient ardemment afficher l'étendard du héros par coup de bol et autre scandaleusement chanceux fonceurs dans le tas sans réfléchir. La perspective d'infiltrer les agents français était délicieusement tentant néanmoins. Mais aux yeux d'Hazel, le jeu n'en valait pas la chandelle. Pas à ce stade de leur "affrontement" contre leurs rivaux. Ce serait trop tôt et trop agressif pour elle. Simuler une collaboration, montrer patte blanche pendant plusieurs années et ensuite tenter le tout pour le tout serait autrement moins dangereux à ses yeux, surtout pour ce qui était de la diplomatie. Les accords entre gouvernements pourraient temporiser un éventuelle fiasco. Mais là encore, Hazel n'en était qu'à faire des suppositions. D'autant plus qu'à ses yeux, se concentrer uniquement sur les français serait une erreur stratégique. CHERUB ne peut se contenter de miser trop d'effort sur un seul et unique adversaire à peine reconnu. La dernière question de la directrice sur l'avis que l'écossaise pourrait en avoir lui parut être une façon très détournée de jeter de l'huile sur le feu. Outre le fait qu'Hazel avait un certain mépris ou au minimum une certaine réserve pour tout ce qui portait un t-shirt bleu marine ou noir, il était plus que clair qu'elle ne partageait pas l'avis de Gepetto. Seulement Hazel avait nettement mieux à faire que de se prendre la tête avec un camarade. A ses yeux, CHERUB avait mieux à faire que démanteler la concurrence. N'y avait-il pas assez de terrorisme et de trafics en tout genre dont il fallait s'occuper? Le fait d'avoir des alliés, même rivaux dans ce genre de lutte, par-delà les soucis diplomatiques et les tirages dans les pattes réciproques, devrait être exploité comme un avantage.

"Recueillir des données ne veut pas dire rester passif. Comme je l'ai dit, tout dépend des situations. Certaines informations pourraient être employées à notre avantage, selon les besoins. Mais je ne trouve personnellement pas très judicieux de "régler le problème". J'imagine qu'il y aura forcément tôt ou tard, si ce n'est pas déjà le cas, des lieux où le Royaume-Unis ne pourra pas intervenir, mais où la France aura ses entrées, et inversement. La vraie question à mon sens n'est pas de savoir ce qu'il faut faire du cas GAVROCHE, mais plutôt de se demander si les objectifs CHERUB sont suffisamment définis et gérables pour se permettre de considérer des agents d'un pays autrefois allié comme des ennemis."

Il n'était pas rare de voir des groupes rivaux s'entraider à grands coups de protocoles et de marchés plus ou moins officiels. Si à l'international les services de renseignements pouvaient s'entendre sur certaines affaires, pourquoi diable faudrait-il agir différemment dans le cadre d'espionage par des mineurs?

"Je ne dis pas qu'il faut leur faire confiance ni même leur donner de libres accès à nos bases de données. Je dis juste qu'à ce stade, il est trop tôt pour catégoriser définitivement GAVROCHE. Qui plus est, il serait dommage de se priver d'une source d'informations exploitables pour les missions en cours."

Tout n'était qu'une question de dosage des flux de données partagées aux yeux de l'écossaise. Quand bien même elle serait pour l'heure incapable d'accorder la moindre confiance à un agent français, elle n'allait certainement pas se fermer des options utilisables en mission. Après si ça devait leur nuire, ce serait une preuve que CHERUB n'était plus assez efficace pour poursuivre ses objectifs de base. A eux de prouver le contraire.

"Après, si GAVROCHE fait preuve d'irrégularités, à nous de faire en sorte d'en tirer profit. Quitte à déclencher un incident diplomatique, autant que celui-ci soit en notre faveur. Quand il s'agit de débattre et de faire face aux actes, les agresseurs trop déclarés sont ceux qui s'en sortent le moins bien."

Elle clôtura son avis par une simple gorgée de thé. A ses yeux, l'attaque était bien trop rarement la meilleure des défenses. Avant d'aller s'embourber dans une situation qui pourrait nuire aux agents, Hazel était une fervente partisane de la protection des arrières. Après tout, c'était ainsi qu'elle essayait d'agir autant que possible sur le terrain. Selon elle, un bon agent qui savait mesurer ses prises de risque ne devrait jamais se retrouver dans une situation nécessitant un acte héroïque ou remarquable. Voilà pourquoi elle considérait les t-shirt bleus marines et noirs comme des prétentieux.

Aucun muscle du visage de Gepetto ne bougea, aucune lueur ne s'éclaira dans ses yeux, il restait froid telle une statue. Courage et professionnalisme, voilà ce qui caractérisait l'italien, si Hazel semblait pouvoir être désigné par le second qualificatif, le premier lui faisait. Le programme d'entrainement initial n'avait pas fait de Gepetto un surhomme même s'il pouvait accomplir de grandes choses, il n'avait pas non plus ôté toute peur de l'esprit de l'agent, car certaine chose lui faisait peur comme à tout le monde. Au Kenya il avait eut peur, peur d'entrainement la mort d'une trentaine de camarades de condition. Mais; grace à une certaine force de caractère et au programme d'entrainement initial, il avait vite dépassé ça et réussit la mission. Peut-être qu'Hazel avait du courage mais préférait la réflexion, mais le t-shirt bleu marine en doutait, dommage pour elle car elle semblait intelligente. Et sa stratégie, bien que manquant d'offensivité n'était pas stupide,même si le jeune se considérait comme au-dessus d'elle.

-Cette stratégie défensive pourrait être envisagé, toutefois une stratégie offensive bien que plus risquée pourrait tout d'abord faire accroitre nos connaissances sur leur philosophie et leurs techniques d'infiltrations, si jamais suite à une infiltration de la DCRI puis de Gavroche nous découvrions en eux des alliés potentiels et en mesure d'accepter notre aide et une certaine domination, un règlement du problème Gavroche pourrait seconcrétiser par un placement sous domination anglaise qui serait réalisé de manière déguisée et progressive ce qui pourrait éviter d'autres problèmes causés par Gavroche et ses agents

L’italien avait tenté de prononcer son argumentaire tout en y alliant son charisme, puis après une rapide gorgée de thé il décida d'expliciter ses arguments.

-La domination à laquelle je pense, ne serait pas une domination acquise par la force brute, mais un accord diplomate de partenariat entre les deux organisations et qui aurait été préparé grace aux informations recueillies par une infiltration. Cet accord permettrait de garder un oeil sur Gavroche, d'en tirer profit et si possible d'exercer une influence que l'on pourrait qualifier de domination.

Comme à chaque fois qu'il tentait de convaincre quelqu'un, les mains de l'albinos s'étaient animées, parlant avec lui, illustrant ainsi ses dires, renforçant son charisme et montrant une grande détermination, là était le charisme d’un jeune homme qui avait sus par le passé mettre une bonne trentaine d’enfants sous son joug. Il s’agissait dans le cas présent de convaincre, convaincre que c’était lui qui avait raison et non pas l’Écossaise.

L'impassibilité d'Eleutheria Moore semblait particulièrement contagieuse et les deux adolescents rivalisaient de maîtrise de soi. En aucun cas, un observateur extérieur ne pourrait imaginer être en présence de la directrice du plus secret des services de renseignements britanniques et de deux de ses agents. On serait plutôt cru dans une de ces innombrables maisons du vieux Londres assistant au traditionnel "tea time", légèrement guindé, survenant entre une grand-mère et ses petits enfants.

Attentive, la vieille femme écoutait les commentaires et suggestions, essayant d'extrapoler devant ces réactions, l'attitude qui prévaudrait au sein du Campus lorsque la nouvelle serait rendue "publique". Il était à parier que les avis divergeraient également entre ceux enclins à se faire des alliés de ces présumés agents de GAVROCHE et ceux qui voudraient les neutraliser pour éviter toute prise de risque.

Hazel, toujours pragmatique, optait à priori pour une collaboration prudente, refusant de se priver d'alliés potentiels tandis que Gepetto, plus manipulateur dans l'âme, se voyait déjà en train de contrôler ces alliés pour en faire des pions à son service. Il restait là dans la plus pure tradition britannique. Les alliés devaient rester sous contrôle stricte et n'avaient, au mieux, qu'un simple rôle de faire-falloir.

Un mince sourire étira le visage parcheminé de la directrice.

"Je vous remercie de m'avoir fait ainsi part de vos observations.", reprit-elle. "Je vais prendre contact avec les homologues du MI 5 et du MI 6."

La femme, bien que dépendant théoriquement du chef du service de renseignements intérieurs, semblait se considérer comme son égale, chose qui ne surprendrait certainement pas les agents de CHERUB, habitués à voir la chouette naviguer, parfaitement à l'aise, dans les hautes sphères.

"Ils se chargeront de demander des explications officielle à la France sur l'existence d'un service utilisant des agents mineurs pour certaines opérations. Je doute néanmoins d'obtenir des réponses satisfaisantes sur ce sujet." D'un autre côté, Eleutheria Moore serait la première à nier l'existence de CHERUB si la question lui était posée… "Tant que la réalité de GAVROCHE n'est pas établie de façon formelle, nous sommes un peu limités dans nos modes d'action. Il nous faudra agir prudemment et ne pas dévoiler trop vite nos cartes. Ne pas montrer que nous savons qu'ils savent en quelque sorte…"

Pensive, la chouette marqua une courte pause.

"Oui, bien qu'aucune preuve ne vienne étayer la réalité de ces agents français, j'ai tendance à croire qu'ils existent vraiment. Nous devons donc rester sur nos gardes mais surtout ne pas négliger cette aide extérieure. Nous avons plus à y gagner en collaborant avec eux qu'en les traitant en ennemis. Ou même en "supplétifs"." Un petit sourire ironique adressé à Gepetto ponctuait ces derniers mots. "Je vais également demander une vigilance accrue pour essayer de localiser les deux agents connus ou supposés de GAVROCHE. Il est fortement improbable que nous obtenions des informations officielles aussi il nous faudra nous montrer plus malins que ça pour confirmer les renseignements que nous possédons déjà."

S'essuyant délicatement les lèvres avec une petite serviette, la directrice conclut.

"Il ne reste plus qu'à informer vos camarades de cette découverte afin qu'ils ne se fassent pas surprendre par un contact avec leurs homologues français. De votre côté, restez circonspects dans ce que vous raconterez. Rappelez-vous que nous ne disposons d'aucune preuve formelle et que rien ne permet de croire que les grenouilles nous sont hostiles…"

Un haussement de sourcil, ce fut tout ce qui transparut sur le visage de l'écossaise quand, sous son masque robotique, Gepetto se lança dans une fervente défense de son point de vue. A croire que se faire donner raison avant pour son camarade plus d'importance que de penser juste. Non, a ce stade, ce n'était plus une hypothèse mais clairement une certitude. La question qu'elle en venait à se poser, tandis qu'elle dévisageait l'agent en train d'appuyer ses dires par une gestuelle qu'il n'avait pas eue jusqu'alors, trahissant donc la volonté qu'il voulait y mettre, était de savoir si elle serait capable de travailler avec un type capable de placer son égo et ses ambitions personnelles au-delà du bon sens, voire même du sens du devoir tout court. Non vraiment, si c'était ça être un t-shirt bleu marine, Hazel veillerait personnellement à ce que cette couleur ne s'accorde jamais à son teint.

Enfin encore fallait-il que la directrice lui confirme qu'à défaut d'avoir raison, l'écossaise était sur la piste la plus sage. A vrai dire. Hazel se fichait pas mal d'avoir un quelconque dessus sur un camarade. La plupart du temps, bien que ce sentiment de supériorité avait un petit quelque chose d'agréable, il comportait trop de désavantage pour que la fillette puisse le tolérer. Pire encore, être approuvée par la directrice nuisait de plus en plus à sa sociabilité. Il n'y avait qu'à voir comment Zack avait réagit quand la chouette avait eu l'outrecuidance de faire l'éloge polie de l'efficacité avec laquelle l'écossaise rendait ses devoirs dans les temps. Pour une fois, et bien que ça lui donner envie de gerber, elle préféra un instant que Moore lui balance qu'elle était complètement à côté de la plaque, juste pour voir si l'égo de Gepetto serait assez conséquent pour l'aider à passer pour une simple gamine sans intérêt à défaut d'une intello chiante.

Aaah, le concept de domination. Tout ce que les dictateurs adoraient! Et tout ce qui faisait qu'ils finissaient tôt ou tard par être détrôné par un type encore plus égocentrique et tordu qu'eux. Au moins à défaut de vivre assez longtemps pour faire quelque chose de bien de leur vie, certains d'entre eux avaient été pendant une courte durée considérés comme des Dieux. Evidemment, poussons l'Angleterre à dominer la France. Le Moyen Age, la guerre de cent ans, la guerre en dentelles, la perte du Québec, Waterloo, toussa toussa... Certains avaient zappé les cours d'histoire et les leçons morales qu'il fallait en tirer. Ouais, en fait peut-être qu'il n'y avait qu'elle pour prêter de l'attention au savoir théorique en règle général. Hazel failli presque lever les yeux au plafond, mais se ravisa vite quand la directrice reprit la parole.

Non bien sûr, il valait mieux ne pas trop compter sur des réponses claires et honnêtes. Qui serait assez fou pour avouer sans gêne aucune participer à un réseau d'espionnage parfaitement secret et éthiquement très discutable? Hazel ne se faisait pas d'illusion. Morre n'obtiendrait des informations exploitables qu'au compte-goutte et en décryptant chaque mot et chaque geste de ses interlocuteurs. Autant dire qu'ils allaient certainement bien mieux avancer sur le terrain en confrontation ou en collaboration directe avec des agents de GAVROCHE. Adorable politique. Mais le pire fut sans doute quand la directrice précisa qu'il fallait être discret, et surtout envisager que la collaboration puisse primer. Voilà qui n'allait certainement pas plaire à Gepetto et ferait encore perdre des points de camaraderie à l'écossaise. Au moins trouvait-elle un certain soulagement à l'idée d'avoir un système de réflexion plus proche d'une directrice d'un groupuscule d'espionnage que d'un adepte lambda de la quête du pouvoir à trop court terme. Elle entraperçut le sourire ironique de la chouette et préféra baisser les yeux sur sa tasse. De toute manière, elle était prête à parier que son camarade ne réagirait pas, ou trop peu, même si il était en parfaite opposition avec l'opinion des deux autres protagonistes. Sans doute mettrait-il superficiellement l'avis de la directrice sur le compte de la solidarité féminine ou de la sénilité, à défaut de supposer un seul instant qu'il y avait des méthodes plus efficaces quand on prenait un peu plus de recul. La remise en question ne faisait pas partie des compétences d'un t-shirt bleu marine.

Hazel releva les yeux aux derniers propos de la directrice. Aussi pacifiste que soit sa manière d'envisager une attitude envers GAVROCHE, elle n'irait certainement jamais les considérer sincèrement comme des alliés. Fallait pas déconner non plus. Eventuellement des collaborateurs, mais indignes de confiance. Quand on était espion, de toute manière, on ne pouvait faire confiance à personne. Pas même ses camarades du même camp. Elle jeta un dernier regard en coin à Gepetto et se pencha finalement en avant pour reposer sa tasse. Bien que le thé soit délicieux, la tournure de la conversation l'empêchait d'en profiter pleinement. Quel étrange paradoxe, d'être à la fois satisfaite et déçue par une approbation.

"Oui, madame la directrice."

Se reculant légèrement, elle planta un regard neutre sur la chouette.

"Avez-vous encore besoin de moi ou puis-je me retirer?"

Non pas que discuter la dérange, mais elle commençait à se demander si chaque fois qu'elle allait voir la directrice elle aurait toujours immanquablement la certitude d'être mise à l'épreuve. Et dire que certains agents la considéraient comme une mère de substitution... Une tortionnaire vicelarde, voilà ce qu'elle était. Non contente de lui avoir flinguer un commencement de camaraderie avec Max et Zack - bien que pour le deuxième, au final, elle s'en passait fort bien - elle en viendrait presque à faire en sorte qu'Hazel n'aie jamais à jouer la bonne pote avec qui que ce soit. Quand bien même ce n'était pas avec Gepetto qu'elle risquait de s'entendre de toute manière, maintenant elle avait la certitude que son camarade ne pourrait probablement jamais tolérer sa présence hors obligations d'usage.

Après l'annonce les sourcils de l'italien se contractèrent d'une manière presque imperceptible avant de reprendre leur place. La chouette considérait qu'il fallait agir avec prudence car rien ne permettait de croire que les grenouilles étaient hostiles. Le jeune homme se rapellait d'une phrase Jules Renard "Prudence est un euphémisme de la peur". Il n'avait plus qu'à espérer que pour la directrice ce n'était pas le cas. La chouette parlait même considérer les roses-bief comme des alliés. Foutaise! Se disait le jeune garçon, un Français avait été sympathique, les autres seraient peut-être plus expérimenté et moins désintéressé. Il savait que CHERUB avait suffisamment d'influence pour que la directrice n'ait pas peur, elle préférait juste prendre des illusoires précautions en espérant que tout allait se passer de manière diplomatique.

Au fond, l'italien riait presque de ces propos, si l'existence de CHERUB n'avait jamais été reconnue officiellement et était rester un secret absolu jusqu'à la dernière mission de l'albinos, c'était bien car l'Angleterre avait toujours démenti son existence. Et pourtant, Moore pensait qu'ils allaient avouer qu'ils possédaient une organisation similaire à CHERUB. Les Français allaient peut-être mêmes faire comme l'italien l'avait dit, tenter d'infiltrer CHERUB. Frissonnant à cette idée, il reposa sa tasse reprocher à la directrice le fait d'entreprendre une conduite trop prudente n'était pas envisageable, d'une part cela ne serait pas professionnel, de l'autre madame Moore était l'une des rares (voir la seule ? ) personne envers laquelle Gepetto portait une certaine estime, alors même si son point de vue divergeait du sien, c'était lui d'apprendre et non pas l'inverse. L'agacement était présent en l'esprit du jeune homme mais il devait savoir ne rien montrer.

Certes, l'albinos tenait souvent tete à ses supérieurs et se montrait parfois totalement exécrable, ce genre de comportement ne concernait jamais le métier, uniquement la vie disciplinaire sur le campus. Hazel semblait lui porter un vif intérêt, être clairement en désaccord était une chose pouvant susciter cela. Pour sa part, l'albinos ignorait les regards de l'Écossaise, se contenant de lui rendre des froides oeillades. La jeune fille devait le prendre pour un dingue de pouvoir, au fond elle n'avait pas tort, mais sur le coup le jeune homme avait surtout pensé à l'intérêt de son organisation, bien qu'il ne tînt pas à rester un simple pion sur l'échiquier. Le ton de notre italien restait froid, il considérait la vieille femme d'un air froid.

-D'accord lâcha le narcissique J'espère sans tellement douter qu'une phrase d'un tragédien grec pourra toutefois etre le mot d'ordre de CHERUB face à Gavroche

L'albinos ignorait si Eleuthéria était cultivée, ou si elle s'intéressait aux tragédiens grecs, mais si jamais elle ne reconnaissait pas la référence il se ferait un plaisir de la renseigner, faire une déduction après des paroles si énigmatiques n'était pas possible pour tout le monde. Mais le fils de mafieux en était capable alors pourquoi pas elle ?

Ce genre de petite discussion restait très intéressant pour Eleutheria Moore qui en profitait à chaque fois pour évaluer le profil psychologique de ses agents au travers de leurs réactions et de leurs remarques. Elle était loin d'être dupe de l'attitude neutre que certains se complaisaient à adopter en sa présence et excellait dans l'art d'aller voir au-delà de cette façade de composition.

Face à un sujet brûlant que le dossier "GAVROCHE", la directrice avait également besoin de prendre en compte le ressenti des enfants qui étaient sous ses ordres. Il n'était pas certain qu'Hazel et Gepetto soient vraiment représentatifs des mentalités des agents mais ils apportaient certaines indications sur la façon selon laquelle elle devrait présenter les choses pour sensibiliser l'ensemble des agents de CHERUB. Il lui faudrait présenter les choses de façon à ce que chacun reste sur ses gardes mais sans adopter, à priori, d'attitude hostile. Il serait bien temps de classer ces "mangeurs de grenouilles" dans la rubrique des ennemis au moment opportun. Pour le moment, ils devraient juste être traités en concurrents.

Le message semblait être passé auprès de l'Ecossaise et de l'albinos, avec plus de réticence semblait-il chez ce dernier. Il appartenait désormais à la vieille chouette de faire jouer ses relations pour éclaircir la situation, quitte à envoyer discrètement ses agents collecter des informations.

Secouant lentement la tête, elle signifia ainsi à Hazel que l'entretien pouvait être considéré comme terminé.

"Vous pouvez y aller, mademoiselle Curtis.", dit-elle avec un léger sourire. "Je suppose que votre exposé sur les ramifications existant entre les narcotrafiquants et l'exploitation des enfants dans le sud-est asiatique est quasiment achevé. Je me réjoui à l'avance à l'idée d'assister à la restitution de vos réflexions pertinentes sur ce sujet."

Les yeux de la femme se portèrent ensuite sur Gepetto qui venait de signifier son accord du bout des lèvres. Amusée, elle écouta le garçon faire étalage de sa culture de façon énigmatique. Présenté comme ça, il était quasiment impossible de savoir ce qu'il avait en tête et à quelle citation il faisait allusion. Eleutheria Moore connaissait et appréciait les tragédiens grecs mais elle était loin de connaître leurs œuvres par cœur.

"Ah… Euripide, Sophocle, Eschyle…", murmura-t-elle. "Je suis heureuse de voir que vous continuez à vous intéresser à eux."

Plissant les yeux, elle fixa un instant l'adolescent avant de poursuivre.

"Je ne sais pas exactement à quelle phrase vous pensez.", reconnut-elle. "Mais j'en vois une qui peut s'appliquer à toutes les situations et pas seulement à celle-ci. Euripide a dit 'Le courage n'est rien sans la réflexion' et j'aime à penser que les agents de CHERUB seront capables de pendre du recul avant d'agir. Ce qui sera certainement votre cas, n'est-ce pas ?"

Il n'y avait rien d'autre à ajouter, du moins du côté d'Hazel. Si le petit loisir de la directrice arrivait à son terme, elle préférait tout autant se retirer. L'écossaise ne se faisait pas d'illusion. La discussion en tant que telle n'avait pas lieu d'être, déjà parce que la directrice avait très certainement depuis le départ une idée très claire sur la manière dont elle comptait aborder le dossier GAVROCHE, et que tout bleu marine que soit Gepetto, ou toute intello qu'elle soit elle-même, deux simples agents de CHERUB ne pouvaient décemment avoir le niveau de compétence nécessaire pour apporter des notions exploitables qui n'auraient pas déjà été envisagées par d'autres personnes mieux placées et mieux formées qu'eux. Ils n'étaient que des enfants. Certes espions, mais des enfants. La phase de test étant passée, et se fichant en un sens du résultat, la fillette préférait ne pas s'attarder d'avantage. Autant rentabiliser le temps que la chouette voudrait bien lui accorder à améliorer ses compétences, histoire d'avoir un jour peut-être le poids nécessaire pour apporter quelque chose d'utile à CHERUB. Mais pour le moment, hormis se mettre à dos un camarade de plus, et entendre dire des insanités dictatoriales, elle n'avait pas intégré grand chose d'exploitable pour ses connaissances personnelles. Ah si, la directrice avait bon goût en matière de thé. Cool. Et quelques petits détails concernant GAVROCHE dont il n'y avait que des preuves supposées. 

Après un dernier regard pour sa tasse vidée, et avec l'accord de la directrice, elle repoussa sa chaise en arrière de quelques centimètres, pour s'arrêter ensuite. Oui, son exposé, tout à fait. Avec la directrice pour y prêter une certaine attention. Vas-y qu'elle cherchait à lui mettre la pression! Enfin, ce n'était pas comme si l'écossaise n'avait pas prévu de peaufiner son travail avec un soin qui s'apparenterait à s'y méprendre à de la maniaquerie de toute manière. Quant à Gepetto... A dire vrai, Hazel n'essaya pas particulièrement de chercher une quelconque phrase d'un quelconque tragédien grec. Ces génies de l'art de la pensées en avaient pondu pour convenir à toute sorte de situations. Et pour un peu que l'on soit imaginatif, une même suite de mots pouvait être tournée de tant de manières différentes! Les textes n'apportaient jamais que des enseignements, mais en aucune façon une définition fixe ou une vérité. Si c'était le cas, pourquoi donc existerait-il autant d'écrits analysant les écrits? Les mots étaient faits pour être dénaturés, siècles après siècles, en fonction des besoins de ceux qui s'en servaient. L'art de la politique si joliment masqué par l'art de la pensée. Tant de tragédiens s'en retourneraient dans leur tombe! Tandis que la directrice répondait au t-shirt bleu marine, Hazel se releva simplement, et contourna son siège pour le pousser. Le courage n'est rien sans réflexion... C'était vraiment impressionnant comme on trouvait toujours quelque chose dans les mots de l'histoire pour aller avec ses propres souhaits.

"Madame la directrice... A moins que vous en décidiez autrement, nous nous reverrons pour cet exposé."

L'écossaise hocha simplement la tête à l'intention de la vieille chouette avant de se tourner vers son camarade.

"Au revoir, Gepetto."

Les salutations d'usage faites, Hazel se détourna simplement pour laisser l'agent et la directrice en tête à tête. Elle veilla à refermer la porte derrière elle calmement, pour ne pas déranger la suite de leur conversation, si suite il y avait.