2015/06/20-M- Il faut retrouver ces satanés missiles !

Appuyant sur un minuscule bouton, Eleutheria Moore commanda d'une voix calme.

"Pourriez-vous nous apporter deux tasses de thé, s'il vous plait. ? Jun Shan Yin Zhen pour moi et…", s'interrompit-elle un instant, attendant une réponse de la part de Lindsey. Devant le mutisme de la fillette surprise, la femme poursuivit. "Anxie Tie Guan Yin, avec une rondelle de citron, pour mon invité., avant de s'inquiéter : "Vous aimez, j'espère ?".

Puis, semblant se plonger de nouveau dans ses souvenirs, la vieille femme se tut de nouveau, moments de silence insupportables pour la jeune Irlandaise dont la patience, bien fragile pourtant, se voyait mise à rude épreuve.

Soudain, d'une voix un peu absente, la directrice reprit la parole lentement, comme si elle laissait sa mémoire se vider progressivement.

"Lorsque Patrick, pardon, votre père, prit contact la première fois avec nos services, en 1995 ou 96, je ne sais plus trop exactement, il était las de toute cette violence et n'aspirait plus qu'à une seule chose : fonder une véritable famille et vivre en sécurité loin de tout ça…"

Trois petits coups frappés discrètement à la porte interrompirent le monologue. Une secrétaire entra alors portant un plateau sur lequel se tenaient deux tasses fumantes. Rapidement, celle-ci posa le plateau sur le bureau devant Eleutheria Moore avant de se retirer en silence.

Laissant à sa tasse le temps de refroidir un peu, la vieille femme poursuivit.

"J'ai été désignée au printemps 1996 comme correspondant pour éprouver les véritables sentiments de vos parents. Voulaient-ils vraiment en finir avec le terrorisme pratiqué par l'IRA ou, au contraire, était-ce une manœuvre de cette dernière pour tenter une opération de désinformation ? Je dois avouer que mes supérieurs étaient très sceptiques sur la sincérité de la démarche entreprise par cotre père."

Saisissant délicatement sa tasse par l'anse, la directrice la porta à sa bouche et en but une petite gorgée, tout en invitant sa vis-à-vis à faire de même.

"Rapidement, j'ai pu prendre conscience de l'honnêteté de vos parents et en ai informé mes supérieurs.", poursuivit-elle. "Malheureusement, de sombres manœuvres politiciennes sont venues troubler le scénario projeté. Nous, quand je dis 'nous', je veux parler des services de renseignements britanniques, nous avons rapidement compris tout l'avantage que nous aurions de faire travailler votre père à notre profit. Réticent dans un premier temps, Patrick a finalement accepté d'être notre agent infiltré. Oh, un agent infiltré bien timide, je dois le reconnaître, car s'il nous renseignait parfaitement sur les dates et les lieux de futurs attentats, nous n'avons jamais pu obtenir le moindre nom d'un des membres de sa cellule."

Un petit sourire un peu nostalgique vint ajouter quelques rides au visage déjà marqué par le temps de la directrice.

"Cette façon de procéder me convenait parfaitement, même si elle déplaisait à l'ancien directeur du MI 6.", avoua-t-elle, une intonation légèrement ironique dans la voix. "J'ai assez vite noué des relations de confiance avec vos parents et je dois dire avoir été fière de les compter parmi mes amis. À la fin officielle du conflit, ils se retirèrent de façon visible et c'est à ce moment que vous entrez dans l'histoire."

Plissant les yeux, Eleutheria Moore regarda un bref instant Lindsey par-dessus ses lunettes.

"Vous ne devez pas vous en rappeler mais j'étais présente à votre baptême, de façon discrète certes, mais j'étais bien là. Je suis venue également chez vous à plusieurs reprises, toujours de nuit il est vrai pour ne pas attirer l'attention, mais vous étiez couchée à chaque fois. Entortillez-vous toujours une de vos mèches de cheveux autour de votre index, tout en suçant votre pouce, lorsque vous dormez ?"

Face à Linsey, la directrice s'était tue, s'interrompant un instant dans sa narration. Posément, elle observait la fillette, attentive à décrypter les émotions que ce récit pouvait faire naître.

Tout le monde était sorti de la salle, et Zachary n'avait pas manqué de remarquer que puducul était en plein milieu du flot d'agents. Etait-ce volontaire ? Toujours était-il que le garçon se prépara à le rattraper quand il remarqua que Lindsey était dans la salle de briefing avec la chouette. Il s'immobilisa une seconde pour observer la situation, il aurait bien le temps de choper Nigel plus loin après tout. Et là, étonnamment, une nouvelle conversation se lança entre sa petite soeur et la dirlo.

Curieux, Zack resta un instant planté là, au milieu du couloir, oubliant presque qu'il avait envie d'en coller une à l'autre abruti à casquette. Soudainement, la lumière rouge s'alluma au dessus de la porte. L'ordre était clair : ne pas déranger. Mais de quoi elles allaient parler à la fin ? De la mission en Irlande ? Décidément de plus en plus intrigué, le t-shirt bleu marine croisa les bras en fronçant les sourcils et observa la porte qui s'était refermée comme s'il était capable de voir au travers.

Lindsey ne lui avait pas annoncé qu'elle voulait parler avec elle. Est-ce qu'elle voulait parler de lui ? Egocentrique ? Un peu. Ca semblait bizarre. Elle avait des soucis peut être ? Si c'était le cas, elle lui en aurait parlé à coup sûr ! A moins que ça soit un truc de fille. Mais la dirlo, c'était pas une fille, c'était une vieille. Décidément, il était de plus en plus curieux de savoir de quoi il s'agissait. Peut être un brin inquiet. Mais ça il ne fallait pas le dire.

Bon, tant pis pour Nigel. Zachary s'adossa contre le mur en face de la porte, et sortit son portable pour s'occuper, commençant à pianoter un message à l'attention de Maxence, histoire de sortir faire un truc quelconque.

Comme il était prévisible, les premières explications fournies par la directrice amenaient de nouvelles questions et il était fort probable que les réponses susciteraient également d'autres demandes de précision comme si l'esprit humain ne pouvait pas se satisfaire d'une situation donnée et voulait toujours chercher à en savoir davantage.

Un petit plissement des yeux trahit l'amusement d'Eleutheria Moore devant l'inquiétude de Lindsey qui souhaitait que ses petites manies encore bien puériles ne soient pas divulguées auprès de ses condisciples. Si ces petits travers pouvaient en effet paraître bien innocent et, peut-être également, attendrissant auprès de l'encadrement adultes, ils pouvaient très vite faire de la vie de leur auteur un véritable enfer, tant la moquerie était facile à l'âge de ces enfants. Zachary lui-même, bien qu'adorant sa petite soeur d'adoption, manquerait certainement de finesse, ne voyant dans ces moqueries qu'une innocente plaisanterie.

"Soyez sans crainte, mademoiselle Nì Lochlainn...", la rassura la vieille femme. "Je sais me montrer encore plus discrète qu'une tombe."

Ce n'était rien de l'affirmer et Lindsey était bien placée pour le savoir, la directrice ayant attendu tout ce temps pour lui dévoiler la vérité sur son passé, aveu qui ne furent obtenus d'ailleurs qu'à cause de l'insistance de la jeune fille. La première question fut d'ailleurs relative à ce culte du secret et n'obtint qu'une réponse sibylline de la vieille chouette.

"Il y a un temps pour tout, mademoiselle Nì Lochlainn. Ce n'était juste pas le moment..."

Stoïque, Eleutheria Moore fit face au flot de questions qui se succédaient. Allait-elle y apporter des réponses franches ou allait-elle essayer de ménager la fillette pour qui, toute vérité n'était peut-etre pas bonne à dire, du moins pour le moment ?

"Nous n'avons aucune certitude sur les circonstances exactes de la mort de vos parents.", avoua-t-elle d'une voix pensive. "Le fait qu'une explosion soit à l'origine de l'incendie dans lequel ils ont perdu la vie laisse supposer que leurs anciennes relations en soient à l'origine. Malheureusement, l'enquête n'a rien donné pour le moment mais je puis vous assurer que le dossier n'est pas encore clos, j'y veille personnellement, et que nous trouverons les responsables."

Vint alors l'inquiétude de Lindsey sur la validité de sa présence à CHERUB. Inquiétude de savoir si elle devait son t-shirt gris à ses compétence ou à une espèce de faveur offerte par la présence de la dirtectrice.

"Rassurez-vous, mademoiselle Nì Lochlainn, personne n'a réussi le PEI à votre place.", répondit la femme. "Certes, vous avez été recueillie sur le Campus car la Couronne estimait avoir une dette envers vous et que je trouvais que votre place était plus parmi nous qu'au sein d'un obscur orphelinat. À CHERUB, vous aviez l'assurance de recevoir la meilleure instruction possible et nous n'envisagions pas forcément de faire de vous un de nos agents. Seules vos compétences et votre obstination vous ont permis d'obtenir le t-shirt que vous portez actuellement."

La chouette se tut un instant avant de conclure.

"Alors, oui. Vous avez été recrutée par égard pour vos parents, en faisant fi de vos compétences de l'époque. Nous vous étions redevable et moi plus que quiconque car j'ai fortement contribué à faire de vos parents ce qu'ils sont devenus et qui leur a probablement coûté la vie. Mais vous ne devez vos derniers succès qu'à vous même. Vous êtes parfaitement à votre place parmi les agents et je mets quiconque au défit de prouver le contraire. Personne n'a décelé à votre place le trafic qui se déroulait dans l'avion alors que vous ne partiez pour une simple mission de routine."

Reprenant la tasse qu'elle avait posée sur son bureau, Eleutheria Moore en but tranquillement une gorgée avant de la reposer devant elle.

"Je vous invite à rejoindre vos camarades et à préparer vos affaires pour votre prochaine mission.", sourit-elle en appuyant sur un bouton. La porte s'ouvrit toute seule, démasquant celui qui se tenait encore dans le couloir. "Allez donc rassurer monsieur Johnson qui a dû croire que je vous séquestrais dans mon bureau. Nous nous reverrons avant votre départ..."

Perdu dans un sms aux tenants et aboutissants totalement inconnus du requin, celui-ci fut sorti de sa composition par la porte qui s'ouvrit soudainement. Intrigué, il observa l'intérieur de la salle de réunion et vérifia si Lindsey était toujours en un sol morceau et s'il n'y avait pas de sang ou de vêtements déchirés.

A priori, tout allait bien, songea-t-il alors que la dirlo semblait l'observer un instant. En une fraction de seconde, Zachary parcourut mentalement tous les devoirs qui étaient à rendre, et jugea qu'il n'en avait pas encore en retard. Elle ne pourrait pas lui reprocher de ne pas respecter les dates. Surtout les deux jours avant le rendu, il respectait particulièrement le rush final pour les terminer dans les temps, en vrai professionnel qu'il était !

Soudainement, sa petite soeur tourna les talons et sortit de la pièce en trottinant. Elle devait être pressée de partir de ce tête à tête, et le garçon ne pouvait que la comprendre. On ne s'enfermait pas avec la chouette pour avoir une conversation badine. En général, c'était quelque chose de, si ce n'était important, particulièrement désagréable comme une punition, une discussion sur le comportement, voire sur les notes ou encore des remarques sur les dernières missions. Evidemment, en élève modèle, Zack ne connaissait pas tout cela, mais c'était ce qu'on lui avait rapporté. Surtout Max.

Lorsque Lindsey s'arrêta soudainement face à lui, le grand frère faillit lui demander si ça allait discrètement, mais il n'en eut pas le temps. Immédiatement, elle lui fit signe de la suivre à l'extérieur en dévalant l'escalier. Intrigué par la prise de précaution de la jeune fille, le requin la suivit à une allure légèrement modérée par rapport à la sienne. Il ne tenait pas à se fouler la cheville pour une bêtise, il serait bien malheureux à devoir rester dans sa chambre, forcé à faire ses devoir pour s'occuper. Ou à jouer à la console. Idée à creuser !

A la suite de Lindsey

La jeune fille, d'un bref regard en coin aperçut bien son grand frère la suivre à une allure modérée. La question était de savoir s'il comptait par la suite aller lui parler, par curiosité ou bien tout simplement pour essayer de lui remonter le moral, ou bien s'il projetait de s'enfermer dans sa chambre afin de jouer à la console... En tout cas, surement pas pour faire ses devoirs, c'était certains. Il n'était pas quoi la parfois trop sérieuse Hazel avait qui il ne s'entendait guère, mais qui, malgré tous les reproches de son grand frère, lui avait fait très bonne impression.

Mais l'humeur n'était pas à cela. En fait, Lindsey se fichait pratiquement de savoir si Zachary allait la rejoindre ou non. Peut-être préférait elle être seule sur ce coup, pour réfléchir à toutes ces révélations en paix... Et s'il venait ce ne pouvait être qu'un réconfort. Jamais auparavant il n'avait été une seule fois méchant avec elle, et la jeune irlandaise lui faisait entièrement confiance. Confiance qu'elle n'accordait pas à tout le monde sur le Campus.

Le regard morose, une larme au coin de l’œil, elle ouvrit précipitamment la porte de sa chambre...

 Chambre de Lindsey