2015/03/01-L- A petites foulées

En condition et rien de moins. Grosses bottes imperméable et pantalon treillis aux fesses, Hazel courait, à petite foulées, depuis un bon moment. Le regard fixé devant elle, l'écossaise avait clairement saisi au dernier plan foireux à la piscine qu'elle manquait d'endurance. Seulement se balader en maillot et prouver à ses camarades féminines et masculins qu'elle méritait son surnom de planche à pain ne l'intéressait pas outre mesure. De plus, la course avec la gravité pure et dure lui paraissait être autrement plus efficace que de doux barbotages dans un bassin.

Elle faisait large, traçant autour des terrains le chemin de sa course, sans chercher particulièrement à se presser. Le but était purement temporel. Plus elle tiendrait et mieux ce serait. Ramper jusqu'aux dortoirs serait toujours moins humiliant que quelques mètres hors de l'eau en maillot de bain. Pour s'aider, son esprit vagabondait ailleurs, perdu quelque part dans ses cours qu'elle récitait en pensée, s'occupant les neurones pour oublier qu'elle épuisait volontairement son corps.

*Serrures à garnitures: métal fixe, clé à panneton, exemple vieilles caves occidentales.*

Chaque syllabe marquait un pas sautillant. Sa queue de cheval stricte se balançait au rythme de sa foulée, battant ses omoplates. L'air lontain, le souffle réglé comme une horloge, elle poursuivait.

*Serrure à pompes, ou à sécurité: ailettes indépendantes coulissant selon l'axe du cylindre, exemple crochetage expo universelle 1851.*

Elle passa à côté d'un groupe poursuivant un de leur camarade armé d'un ballon ovale. Le rugby avait toujours des adeptes, même sous un temps aussi nuageux qu'aujourd'hui. Hazel ne leur jeta pas un regard.

*Serrure à goupilles, dite de Yale: série de broches s'ajustant au relief de la clé. Modèle le plus répandu actuellement*

LA chaleur aidant, dans sa course, Hazel replia les manches de son t-shirt pour les enrouler par-dessus ses épaules pour plus de confort. Sur son chemin, quelques gamins regroupés assis sur l'herbe papotaient. Ils se turent à son passage et attendirent qu'elle se soit éloignée pour reprendre leur conversation. L'écossaise n'y prêta pas attention.

*Serrure tubulaire: Série de bro... Non... Goupilles positionnées verti... Non... Goupilles... Gou... Merdeuh... *

Hazel fronça les sourcils dans sa course, cherchant dans sa mémoire les bonnes caractéristiques. C'était con, elle n'avait rien sur elle pour vérifier. Toute concentrée sur la quête de sa réponse mentale, elle eut un léger décalage dans sa course, accélérant sensiblement sa foulée et réduisant son souffle sans trop s'en rendre compte. La sueur perlant à ses tempes, elle était en train de saboter inconsciemment l'effort rigoureusement rythmé jusqu'ici.

Il revenait d'un match de foot avec quelques nouveaux comme lui, ils avaient refait le match de Westminster contre Liverpool, il y a dejà quelques années de cela. Pas un grand match, mais le petit avait croqué le plus grand ce qui avait suscité pas mal de débats dans la presse ainsi qu'à la TV... Bryn était un peu jeune mais il se rappelait les éructations de son père devant l'écran comme s'il s'agissait de hier.

Bref, ils avaient couru, couru et couru... Mais il oubliait tout quand il faisait cela, au moins pendant les séances de foot il oubliait un instant ses peurs et ses angoisses.

Perdu dans ses pensées il aperçu Hazel qui faisaient des tours de piste sans prendre beaucoup de temps pour s’intéresser aux autres. Cette fille était assez étrange... S'il devait en croire certains elle était bêcheuse, sérieuse et chiante... et les autres pensaient le contraire, voyant en elle quelqu'un de méticuleux.

Bryn dont le caractère n'était pas encore affirmé, bien que naturellement éduqué pour servir et obeir, étant fils de militaire.

Il se mit à courir à travers champs pour la rattraper, prit d'une impulsion subite. Il allait en avoir le coeur net. Bon en plus elle était mignonne ce qui ne gâchait rien, lui manquait peut être juste un peu de poitrine comme certaines pinup des magazines et du times.

Si ça se trouve elle savait jouer aux échecs et il trouverait peut être quelqu'un à sa mesure à ce jeu là... Parce que pour l'instant... C'était pas folichon.

- Hé! Hazel! Salut ça va?... Ca te dérange pas si on trottine ensemble?

Sans attendre de réponse Bryn cala son rythme sur celui de la jeune fille. Lui il était dejà chaud...

Gauche, droite, gauche, droite... Hazel pestait sur son rappel du crochetage. Bon Dieu, elle devrait le savoir, pourtant, qu'il fallait plus de trois relectures pour apprendre des définitions sur le bout des doigts! Elle aurait dû au moins se replonger dans ses fiches avant d'aller courir. L'entraînement physique, bien que nécessaire, lui paraissait souvent être une grosse perte de temps. Dans les faits, quand on savait se servir correctement de ses connaissances, on savait comment éviter de se retrouver dans des situations où l'endurance à la course à pied devenait utile.

*Tubulaire... Tubulaire... C'est pas comme la serrure à goupille ça?... Goupilles... Mais dans le sens du... Vertical?... Non, c'est l'autre... Ça suit pas le sens du cyl...*

Ah! Elle tenait la bonne définition! Oui, elle y était! Ou pas. Une voix se fit entendre. Oh, en temps normal elle ne l'aurait pas écoutée, ça ne se faisait pas d'écouter les conversation des autres. Sauf qu'il y avait clairement son prénom et il était évident qu'on s'adressait à elle. Mécaniquement, l'écossaise ralenti sa foulée en réalisant qu'elle allait plus vite que le rythme qu'elle s'était imposée au départ. Elle manquait décidément de discipline sur la longueur.

Un instant sceptique, Hazel jeta un coup d'oeil sur le côté pour voir Bryn trottiner jusqu'à sa hauteur. Il était seul et courrait vers elle? Sans doute se trouvait-il dans l'obligation sociale de tenter une approche sympathique avec l'intello de service. Morfler sur un parcours aquatique devait rapprocher les gens, sans doute. Oubliant ses pensées purement basses et cyniques, l'écossaise favorisa la thèse de la pure sympathie. Après tout il n'y avait pas de mal à être poli et à chercher à connaître les autres par soi-même. Et puis ça la changeait de la plupart des arriérés qui se limitaient aux rumeurs au lieu d'aller chercher l'info à la source. A croire que certains avaient toujours rien saisi des cours d'infiltration et d'enquête.

"Salut Bryn. Non, ça ne me gêne pas. Ça va. Et toi?"

Si, en fait si, ça la gênait. ça troublait sa concentration et la tirait de ses petites pensées révisionnelles. Mais en même temps, elle ne pourrait jamais compter sur des situations parfaites sur le terrain, donc l'un dans l'autre, c'était même mieux que Bryn l'interrompe dans ses pensées.

"Tu es retourné nager depuis ton parcours avec Zack?"

Parce qu'elle pouvait aussi être sociable et faire un peu la conversation.

Hazel ne parut pas le remarquer tout de suite comme si elle avait d'autres pensées en tête. Puis elle l'autorisa à courir à ses côtés comme après une certaine réflexion. Il se cala sur son allure qui était plus modérée suite à son arrivée. A son tour, elle s'inquiétait de sa santé.

- Bin ça va, je sors d'un match de foot avec d'autres gars d'à peu près mon âge... Donc ça va... Taper dans un ballon ça aide à se vider les méninges des pensées sombres... Et ça permet de s'entretenir sans se prendre la tête... Enfin c'est ce que disait mon père... On se prend quand même la tête avec les autres... Mais bon...

Il coupa sa phrase sentant monter le point de côté. Il savait qu'il était pas trop mauvais en endurance mais il fallait qu'il apprenne à respirer comme il le fallait. Ca c'était pas le plus évident.

- Heu... Je sais pas si tu as remarqué... Mais en nage... Je suis nul... Du coup, j'y vais mais si y a personne pour pas avoir la honte...

Il se demandait si elle avait fait une remarque comme cela, ou si c'était pour lui faire remarquer qu'elle avait remarqué qu'il était nul... Pfff à résonner comme cela il allait finir comme Zach...

Pour l'instant il avait engagé la conversation, et elle lui parlait... Finalement elle n'était pas comme les autres le disait. Peut être juste studieuse... Un peu trop...

- Ca fait longtemps que t'es à Cherub toi?

Il fallait bien faire connaissance à un moment ou à un autre... Non?

Il était bavard. Même très bavard. Ce qui arrangeait bien l'écossaise. Moins elle parlait et plus elle pouvait réguler son souffle. Il évoquait des pensées sombres, ce qui en soi n'avait pas grand chose de surprenant. Un agent avec des paillettes et des bisounours plein la tête, ça se serait surprenant. Mais entre la perte d'une famille, du moins pour ceux qui en ont eu une, et surtout le programme d'entraînement initial avec certains exercices particulièrement éprouvants plus sur le plan morale que physique, il y avait largement de quoi avoir des idées noires. Hazel avait choisi de ne plus y penser, pour ne pas se laisser détourner de ses objectifs au nom d'émotions trop personnelles. Mais ça avait pris du temps tout de même.

La remarque de Bryn sur les entraînements de natation perso lui arrachèrent un fugace sourire. Elle comprenait bien ça, par contre. Même si pour elle il s'agissait plus de honte physique que de honte sur les compétences. Elle s'en fichait d'être nulle. Elle était là pour apprendre. Mais les commentaires totalement bas et souvent dénués d'utilité concrète de certains camarades avaient de quoi refroidir son enthousiasme.

"C'est pas le fait d'être nul qui doit te retenir. On est ici pour progresser, sinon ça n'aurait pas d'intérêt."

C'était dit sur un ton neutre. Elle ne jugeait pas les capacités, juste la prétention. Bryn n'avait à priori pas l'air d'être un vantard de premier ordre, pas comme certains. Mais ça, ça allait probablement changer avec les années, les progrès et les réussites. Ceux qui arrivaient à rester objectifs quand venait le moment de recevoir le susucre bleu marine de la directrice étaient trop peu nombreux pour ne pas faire une généralité.

"Trois ans... Plus ou moins... J'ai fait le programme initial dès mes dix ans. Comme toi, non?"

A moins que Bryn ne soit plus jeune qu'il n'en avait l'air. Ou alors l'inverse.

Évidemment que c'était pas le fait d'être nul qui le retenait. La peur de mal faire, ou d'être qu'un noob aux yeux des autres ça avait aussi son importance. Il devait travailler là-dessus, même si les amitiés se créaient, elles se défaisaient rapidement, certains avaient du caractères, et les plus grands se déchiraient pour avoir la chance de la récompense. Au final, peu comprenaient ce que son père vivait. La joie de servir son pays.

Lui aussi était un peu jeune pour vraiment comprendre cela. Mais les tee-shirts, sans être des grades l'étaient par défaut.

- Ouais c'est pas faux.

Trois ans qu'elle était là... Elle devait avoir son âge quand elle avait mis les pieds à Cherub la première fois. Finalement ils étaient plusieurs à avoir vécu la même chose, passé commun...

- J'ai onze ans, et je suis arrivé au campus quand j'avais dix ans. Effectivement j'ai commencé le programme sans avoir encore onze ans... J'en ai chié... Ce qui m'a fait tenir c'est de savoir que mon père serait sans doute fier de moi...

Finalement pour l'instant elle avait l'air sympa Hazel.

Ah tien, c'était rare ça, qu'on soit aussi facilement d'accord avec elle. En général, il y avait souvent un "oui, mais", ou un "ouais" très clairement dubitatif. En même temps, elle était prête à reconnaître qu'elle avait tendance à manquer de tact, préférant l'honnêteté un peu trop directe par moment à défaut du ménagement de la sensibilité de ses petits camarades.

Régulant à nouveau sa foulée avec plus de discipline, mais moins vite qu'avant. par égard pour les quelques différences de pas qu'il pouvait y avoir entre elle et Bryn. Bien que regardant fixement devant elle, elle restait attentive aux paroles du garçon. S'il n'en avait pas chié, là elle aurait été étonnée. Tout le monde a morflé au départ, et en ça, chaque nouvel agent partait plus ou moins sur un pied d'égalité niveau vacheries vécues. Leur vie d'avant l'entraînement initial ne devait plus vraiment exister. Sauf pour les connaissances qu'ils y avaient acquises et qui pourraient être exploitables en mission. Elle fut d'ailleurs assez surprise d'entendre Bryn évoquer son père. Elle ne s'était jamais demandée si ses parents auraient été fiers d'elle. Certainement pas,ils tenaient plus des babas cools intellos peace and love que des patriotes. Sa grand-mère quant à elle aurait certainement pleuré toutes les larmes de son corps en voyant ce que sa petite princesse était devenue.

"Qu'est-ce qui te fait penser qu'il aurait été fier?"

C'était une bonne question, ça. Parfois les parents ont des aspirations bien loin des apparences pour leurs rejetons. Comme un pompier qui voudrait que fiston bosse dans un bureau sécurisé, là où il ne serait pas tenue de risquer sa peau au moindre coup de fil.

Hazel ralentit un peu pour caler ses foulées aux siennes, elle parut surprise par sa répartie, enfin du moins aux réactions qu'elle avait. Elle lui posa une drôle de question, comme si il n'était jamais venu à l'esprit du jeune Bryn que des parents puissent ne pas être fiers de leurs enfants. Même si lui le sien était spécial.

- Oh?... C'était un héros de la Royal Air Force! Il a sans doute fait des stages commandos lui aussi et vécu des trucs terribles... On parlait parfois de choses militaires, d’héroïsme et de tout le reste... Je pense qu'il me voit de là-haut...

Oui son père était un héros. Un soldat qui avait servi son pays et qui était mort en le servant. L'idéal de tout soldat ancienne mouture comme il disait parfois. Bryn parut nécessaire de rajouter.

- Il est mort quelques jours avant que je sois recruté. C'est pourquoi c'est encore très frais dans ma mémoire... Tu comprends?

Il se demandait bien qu'elle pouvait être son histoire, pourquoi elle pouvait avoir cette réputation de renfermée.

- Et toi? C'est quoi ton histoire?

Ah ouais, d'accord. Une belle famille de patriotes héroïques. Papounet en sauveur de la nation, ça aidait à se conforter dans ce type de choix de carrière. La fierté pouvait être compréhensible. Surtout si le père espérait voir son fils embrasser la même carrière. elle trouvait tout de même amusant le fait qu'il puisse y avoir une véritable complicité militaire entre un père et son si jeune fils. C'était bien, peu pouvaient se vanter d'avoir eu une relation fusionnelle avec ses parents. Hazel avait connu ça aussi. Seulement la complicité était telle que ses parents s'inquiétaient de la voir préférer les adultes aux enfants de son âge. Ils avaient une idée bien précise de ce qu'un enfant devait aire ou expérimenter pour devenir un adulte bien dans sa peau, avec des idées nobles et de grands projets pour l'avenir du monde. Ce devait légèrement frôler la mégalomanie, à bien y réfléchir. Pas contre quant à savoir si les parents pouvaient les voir de "là-haut", très franchement, Hazel espérait que non. Si la mort permettait de priver sa descendance d'intimité, alors avoir de la famille décédé était franchement merdique.

"Moui, je comprends."

Il devait vraiment être très attaché à son père. Hazel, elle, c'était... Boarf, le temps aidait à ne plus ressentir la moindre tristesse. Elle avait vite appris avec sa grand-mère qu'il valait mieux être forte et faire comme si c'était juste une épreuve, à défaut d'un drame. Grandma avait pleuré bien assez pour deux de toute manière. Et quand elle avait cassé sa pipe à son tour, et bien... Elle avait appris d'autant mieux la leçon. Les bonnes choses n'étaient pas faites pour durer, mieux valait ne pas trop s'y attacher. Elle n'avait commis cette erreur qu'une seule et troisième fois avant de jurer qu'on ne l'y reprendrait plus.

"Ma grand-mère est morte, il n'y avait plus personne, le programme d'entraînement m'a paru plus agréable qu'une famille d'accueil. Il parait qu'elles ont mauvaise réputation. Mon histoire c'est Cherub, maintenant."

Quant à ses parents, c'était long à expliquer. Et puis très franchement, elle n'aimait pas parler d'elle. Les infos étaient claires et succinctes, assez plates aussi. Un peu comme Hazel, quoi.

"Ta mère était dans l'armée aussi?"

Des fois que ce soit vraiment entièrement de famille...

Elle parut transporté par les paroles du jeunes garçon. Transportée ou interlopée? Difficile de savoir. Tous avaient sans doute eu des passifs différents, des expériences différentes qui faisaient qu'ils encaissaient les choses différemment.

Elle se contenta d'un acquiescement mitigé. Un signe qu'elle n'était pas de cette culture...

- J'ai eu la joie de pas connaître les centres et tout le reste. Mon père avait des amis, et l'on m'avait dégoté une place dans un prestigieux lycée militaire, avant que je ne sois repéré par Cherub. Donc je peux dire sans me désavouer, que pour moi aussi, Cherub c'est ma vie. A moins que je me rende compte que je ne sois pas fait pour cela lors de la première mission...

Il se concentra sur son souffle pendant quelques mètres histoire de se redonner une vraie base. Il parlait beaucoup trop et il le savait. Mais il en avait besoin. Il n'avait pas eu l'occasion de trop s'épancher depuis son arrivée sur le campus.

- Ma mère? Elle est morte quand je suis né. C'est mon père qui m'a élevé et l'armée un peu aussi...

Cela devait vraiment paraître pour une vie merdique aux yeux de certains ou de certaines.

Ah ouais, d'accord. C'était vraiment de l'éducation unidirectionnelle. C'était pas plus mal, Bryn devait avoir une droiture d'esprit et une discipline qui faisait défaut à trop de monde encore. Et paradoxalement, il semblait avoir été soigneusement élevé dans un but pré-dirigé, un peu comme si au final son parent n'avait prêté aucune importance à la son fils, l'éduquant pour faire un clone de lui-même. Pour preuve, il semblait avoir planifié jusqu'à la suite des événements en cas de décès. Si ça c'était pas une preuve d'un contrôle magistrale de la vie d'autrui, ça y ressemblait bien. Pendant un instant, l'idée que Bryn ait pu être conditionné à outrance dès sa naissance au point d'y voir une fierté personnelle au lieu d'une prison morale lui frôla l'esprit.

Puis elle décida de ne pas y penser. De toute manière, ici ou ailleurs, chacun était responsable des conséquences de ses choix. Et si ça avait été réellement bidon, il n'aurait pas tenu au programme initial, pour commencer.Il aurait favorisé un retour dans une école militaire.

"C'est même pas dit. On ne sait jamais vraiment si on est fait pour quoi que ce soit."

La foulée plus courte, Hazel compensait en assouplissant au mieux chacun de ses pas, déjà pour maintenir un rythme lent, mais aussi pour forcer un peu plus sur son endurance en contrepartie. Elle eut une petite moue à la dernière réponse du gamin.

"C'est pas plus mal. Tu n'as pas eu le temps de t'attacher à elle. Et ça t'a pas privé d'une famille pour autant."

Entre son père et l'armée, il avait très certainement eu de quoi faire.

Elle avait tiqué, il l'avait vu. En quoi son éducation pouvait la gêner? Elle n'était peut être pas d'une culture militaire et carré comme ils disent comme lui. Ou peut être qu'un membre de sa famille était un militaire autoritaire qui avait abusé de quelqu'un... Les possibilités étaient nombreuses...

Ou peut être tirait il des plans hasardeux sur la comète. Elle était juste compatissante. Difficile de juger. Aux échecs cela aurait été facile, il avait le truc, il voyait les schémas avant les autres comme en math ou en physique. Il pouvait savoir ce que quelqu'un jouerait avant qu'il le pense quasiment. Une bonne mémoire et de l'avance dans les calculs faisait le reste.

Mais les réactions humaines c'était parfois la galère.

- Ouais... Je ne me serais jamais cru capable de surmonter la mort de mon père. Et puis grâce à Cherub, j'ai pu faire face.

Hazel se calait sur sa foulée, ils ralentissaient mais allongeaient le pas. Ce rythme convenait mieux à Bryn qui n'avait plus à compenser pour se mettre au niveau de la jeune fille.

- Non c'est vrai... J'étais une sorte de mascotte pour le régiment quand mon père était en mission, le reste du temps on faisait plein de trucs ensembles. Je pense à eux parfois... Au colonel qui faute de pouvoir m'adopter, avait reussi à m'avoir cette place dans l'école et aux autres, mes potes...

Il releva la tête vers Hazel un peu ému.

- finalement comme tu dis j'ai une nouvelle famille maintenant.

Une famille avec qui il s'était roulé dans la boue, fait des pompes à outrance, s'était privé de manger pendant des jours entiers et plus si affinité...

- T'aime quoi dans la vie toi?

Soit Bryn était très émotif, soit il était juste plus sincère que la moyenne de leurs camarades. Peu étaient capables de parler avec autant de facilité de leurs sentiments liés à leur famille, ou tout du moins à leur passé. Ce qui poussauit Hazel à se demander ce qu'il fichait ici. Il avait eu pourtant des amis, une sorte de famille de substitution. L'armée et ses soldats ne l'auraient probablement pas totalement laissé à la dérive. Il y aurait bien eu quelqu'un pour s'émouvoir du sort de l'orphelin et le prendre son son aile, alors pourquoi ce gamin s'était-il engagé? Juste pour rendre son père décédé fier? C'était un peu simple, surtout partant du principe qu'il avait eu l'école militaire et donc la droite ligne pour marcher sur les traces de son paternel. Pas sûr qu'un soldat droit et patriote soit nécessairement du genre à approuver les méthodes tordues limites vicelards et immanquablement manipulatrices d'un espion, quand bien même ce dernier était dévoué au pays.

Hazel n'eut qu'un haussement de sourcil vaguement intrigué face à la mine émue de son camarade. ça devait probablement lui manquer, de ne pas avoir ses mis de longue date pour échanger des mots. L'écossaise ferait-elle office de palliatif à défaut de mieux pour le moment? Elle se garderait bien de le juger là-dessus. Tout le monde a besoin de quelu'un à un moment ou à un autre. Sauf Hazel, évidemment - cette orgueilleuse. En tout les cas, il y avait bien assez de monde ici pour trouver quelqu'un de semblable qui écouterait. C'était pour écouter que Bryn relançait sur un truc vague et totalement abstrait pour l'écossaise?

Ça faisait longtemps qu'Hazel ne s'était pas demandé ce qu'elle aimait vraiment, surtout de manière générale. La tranquillité? Oui, c'était bien pour ça qu'elle potassait comme une malade. Parce que comme ça, quand tout le monde flippait en révisant à retardement pour un test, elle était tranquille et s'y rendait les mains dans les poches. Parce que le silence d'une bibliothèque a quelque chose de rassurant, qu'une salle de classe vide était paisible, bien loin des secousses, des cris et du plafond qui s'effondre. Elle n'aimait pas l'affolement, les familiarités, les gens qui pensent savoir ce qu'on ressent, ou celles qui n'ont pas l'honnêteté d'agir comme ce qu'ils sont vraiment. En fait, Hazel savait très bien ce qu'elle détestait, mais fondamentalement pas tout à fait ce qu'elle aimait. C'était con quand même.

"Travailler. Ça occupe l'esprit et en plus c'est utile. La danse, les animaux, mais il n'y a pas vraiment grand chose à exploiter sur ce plan-là sur le campus."

Pas le chevaux. Mine de rien, le domaine equestre de sa grand-mère lui manquait. Comme le zoo de ses parents. Les bestioles étaient moins compliquées et leur jugement se basaient plus sur les actes que sur les préjugés.

"Je n'ai pas vraiment d'intérêts assez palpitants pour faire de moi une personne intéressante à fréquenter. A moins de vouloir s'assurer une bonne note au prochain examen écrit."

Et encore... Elle serait cap de faire réviser des conneries juste pour donner une leçon de responsabilité à un camarade. Pétasse? Si peu!

Apparemment son dada était de travailler encore et encore. Une fille studieuse qui voulait s'éduquer l'esprit... Sûrement pour pallier son manque de "relations" humaines. Si l'on en croyait tous les autres qui fréquentaient la jeune Hazel. Sinon elle avouait aimer la danse et les chevaux une peu comme toutes les filles que Bryn avait pu rencontrer ou vaguement cotoyer.

- Ouais travailler c'est utile mais finalement quand on y pense tout est utile. Pour le reste tu peux toujours créer un club si tu te sens en manque...

Elle se dévalorisait ou elle était vraiment comme cela? Dur à croire, une fille qui avait cette image d'elle même à moins qu'elle ne soit comme cela. Après peu de filles avaient des intérêts palpitants pour intéresser un garçon... Surtout si en plus elle s’intéressait à des trucs de filles.

- Si tu le dis, déjà tu pars pas gagnante avec des déclarations comme celle là...

Lui dis Bryn en souriant.

- Pour ce qui est des devoirs, j'ai pas besoin d'aide, je maitrise les trucs un peu technique, du coup j'ai plus qu'à me concentrer sur les matières littéraires... Comme on dit chez moi : Dim ond yn ei wneud!

Si on était assez tordu, on pouvait trouver de l'utilité à tout. Mais franchement, dans le don de l'inutilité, certains en tenaient une couche quand même. Se pavaner devant les filles ou les garçons, c'était selon, était quand même une sacré perte de temps. Pareil pour ce qui était d'essayer de se faire passer pour quelqu'un de plus brillant qu'on ne l'était. Comme par exemple en faisant croire à a directrice qu'on était à jour dans ses devoirs et se retrouver comme un imbécile à être forcé de présenter les dits devoirs qui évidemment n'existait pas. N'eat-ce pas, Zack et Max?

"Croire qu'on puisse être gagnant en jouant les hypocrite est une erreur. Je cherche pas à me dévalorisé, il ne s'agit que de faits, et je le vis très bien. Je dirais même que ça m'arrange."

Se faire des amis pouvait avoir un intérêt purement social, mais pour le moment, ça ne faisait clairement pas parti des objectifs de l'écossaise. Pourquoi tout le monde trouvait ça important? Ou tout du moins tout le monde essayait de se convaincre que c'était important. Surtout les adultes. Hazel savait montrer qu'elle pouvait se faire des connaissances, histoire qu'on ne cherche pas à l'emmerder en la prenant pour une marginale. Ceux qui la fréquentaient l'appréciaient tout de même, pour ce qu'elle était et pouvait apporter. Mais pourquoi faudrait-il qu'elle donne une image si... Banale et pré-formatée au nom de la vie en communauté? Elle était capable de ramper dans la boue et les ordures pour aider un camarade en entraînement sans que ça ne soulève en elle le moindre sentiment d'amitié. C'était son job, point barre. Ce n'était pas parce que les autres n'avaient aucun sens du devoir et privilégiaient le relationnel au nécessaire qu'elle se voyait forcée d'en faire autant.

"C'est... Du gallois, non? Tu parles d'autres langues encore?"

A part le gaélique écossais, Hazel ne connaissait que peu certaines langues celtiques. Elle pouvait différencier l'écossais du mannois ou de l'irlandais, mais ça se limitait à ça.

Elle était plutôt en paix avec son propre système de gestion. Elle se contentait de vivre comme l'intello de la troupe, tranquille car les autres pensaient plus à s'amuser qu'à étudier, même si le niveau de Cherub et de son enseignement était plutôt très élevé.

Au moins elle lui disait la vérité sans passer par des détours et des masques. Bryn était peut être un mioche mais il savait que beaucoup ici se cachait derrière un masque, un personnage. Après tout c'était normal. Même si le stage initial, les avaient tous conformé au norme du campus, et avait fait tomber les masques même les plus tenaces.

- Ouais je comprends ton point de vue.

Elle avait percuté sur sa citation.

- Du gallois exact! Pour les autres langues, j'essaye d'apprendre le Français et le roumain... Deux langues latines, histoire que ce soit plus facile... Mais c'est pas gagné... Et toi tu parle le gaelique aussi?

si c'était le cas ils avaient un point commun. Une racine commune.

Qu'il la comprenne ou pas était égal à Hazel. Du moins en théorie. Au fond, ça faisait du bien de se dire que peut-être une personne sur le campus pouvait envisager le fait qu'elle ne soit pas un extra-terrestre. Réajustant périodiquement sa foulée pour ne pas se laisser emporter sans inconsciemment par un rythme qui rendrait la course de Bryn moins aisée, l'écossaise regardait fixement devant elle. Elle eut un léger froncement de sourcils à la confirmation de son camarade.

Gaélique? Etrange, elle aurait casé le gallois dans une autre branche. Elle se souvenait de l'Ecosse, l'Irlande et l'île de Man, mais étrangement, le pays de Galle ne lui revenait pas en tête dans les cours qu'elle avait eu dans une très banale école d'Arisaig. En même temps, elle avait surtout mis un point d'honneur à rapidement maîtriser parfaitement l'écossais, histoire de s'intégrer au plus vite à cet environnement aux antipodes de New Delhi. Le passage fréquent des touristes l'avait aidé à apprendre à reconnaître quelques accents, mais sans plus.

"Gaélique, oui. Mais Ecossais. Je ne pense pas comprendre le gallois. J'arrive à vaguement reconnaître certains dialectes, c'est tout. Autrement je parle et écrit l'hindi."

Hazel ralenti un peu plus sa foulée. Parler en même temps l'essoufflait plus rapidement qu'elle ne l'aurait voulu. Du revers de la main, elle essuya le commencement de sueur qui perlait à son front.

"Pourquoi le français et le roumain? Quelque chose t'as particulièrement interpellé dans ses langues?"

Sans pour autant cesser de courir, elle jeta un coup d'oeil en coin à Bryn, histoire de voir si lui aussi commençait à s'essouffler ou si c'était juste elle qui manquait décidément beaucoup trop d'entraînement.

le rythme était assez difficile, surtout après un match de football aussi disputé que celui qu'il avait fait quelques minutes avant de rejoindre Hazel. Ainsi elle parlait le gaellique écossais mais ne pas arriver à comprendre le gallois.

- Pourtant il parait que c'est la même base celtique, le gallois, l'écossais et l'irlandais... Après sans doute que les manières ont différé dans les usages et dans la transmission du savoir ou du parler...

Bryn fixa Hazel sentant monter un point de côté génant du fond de son ventre... A force de parler
Voilà ce qui arrivait.

- L'hindi??? Quel choix étrange!.. Mais bon pourquoi pas, il y a une grosse communauté en Angleterre... A moins que ce ne soit des Tamoules?...

Hazel aussi avait du mal, il le voyait.
Il ralentit un peu plus pour que tous les deux soient soulagés et puissent continuer à discuter.

- Le Français, je me suis dit pourquoi pas, c'est nos voisins... Mon père en baragouinait des mots de temps en temps... Et le Roumain, c'est plus pour les missions, je me suis dit que ça pourrait servir, et en plus c'est une langue latine comme le français.

Les bases étaient aussi identiques qu'entre le français et l'espagnol. Avoir une base ne signifiait pas que tout le monde pouvait se comprendre. Les mots n'étaient pas orthographiés pareils, ni même prononcés de la même manière. Entre l'accent de la campagne écossaise où elle avait vécu et le gallois bien plus au sud, il y avait une différence trop remarquable pour qu'elle s'intéresse à en détailler plus précisément la linguistique. Se perfectionner en hindi, langue possédant un nombre de locuteurs suffisamment élevé pour en faire l'une des plus parlées au monde, lui avait paru plus utile que de s'améliorer dans un dialecte parlé dans une petite partie du royaume-uni. Après tout, l'espionnage ne connaissait pas de frontière.

"Ce n'est pas la communauté vivant en Angleterre qui a motivé mon choix, mais plutôt le nombre de personne le parlant à travers le monde."

S'il fallait encore compter l'option de facilité, mais chut! Hazel se garderait bien de dire qu'elle trichait honteusement, C'était facile d'apprendre une langue avec laquelle on avait grandi. Quant au roumain, elle pouvait facilement comprendre. Cette langue pouvait se retrouver un peu partout en europe. En faisant exception de ses différents dialogues. En tout les cas, ce serait utile.

"Si c'est plus simple, pourquoi pas. C'est vrai que ça doit être pratique aussi. Surtout en Europe."

Pour le reste, il fallait encore voir. Pour sa prochaine langue, Hazel hésitait encore sérieusement entre le mandarin, l'espagnol et l'allemand. Elle avait encore le temps pour se décider. Les jambes lourdes, l'écossaise sentait peser méchamment le poids de ses bottes. Bryn aussi semblait avoir un peu de peine.

"Tu veux t'arrêter?"

Ainsi elle avait plus ou moins projeté son apprentissage...
Interessant!... Cette fille sous ses aspects un peu pompeux supériorisant était sympa.

- Effectivement c'est un bon choix! Après c'est sur qu'au niveau des dialectes; les communautés hindies ont des lots importants en termes humains.

Lui avait fait le choix de la facilité même si le français était loin d'être simple. Finalement le roumain était presque plus simple dans sa pratique, plus instinctif. C'était aussi un choix tactique, choisir un berceau de langues proches afin de ne pas bosser inutilement et se perdre dans les apprentissages très différents. Un temps il avait songé à d'autres langues mais c'était plus compliqué pour lui.

- Ouais disons que c'est une communauté qui se déplace.

Elle lui proposa de s'arrêter voyant qu'il était lui aussi à la peine.

- Ouais. Le match de foot que je viens de faire, m'a retourné les pattes... Il va falloir que je m'étire un peu sinon demain ce sera le drame...

En tous les cas, Hazel recommençait déjà à ralentir, pas après pas. Théoriquement elle aurait dû tenir plus longtemps. Théoriquement aussi, elle aurait dû être seule à courir, avec sa concentration pour seule activité, et surtout l'absence totale de parlotte pour mieux doser son souffle. Elle n'atteindra pas l'objectif du jour pour ce qui était de la course. Allait-il vraiment falloir qu'elle aille à la natation? Ce soir, après avoir fait les révisions d'usage et préparé le plan de la grosse redaction prévue pour le mois prochain.

Au moins elle se donnait bonne conscience en étant pas la seule à commencer à ramer pour maintenir le rythme. Finissant par cesser de courir, elle continua à la vitesse de la marche. Bryn avait une bonne excuse, lui il avait déjà couru avant. Juste avant même. Elle, son dernier exercice d'endurance elle l'avait fait avant les cours et avait donc eu le temps de récupérer. Il allait vraiment falloir qu'elle s'améliore.

"Ok, on arrête alors. En tout cas pour un petit moment."

Hors de question de retourner jusqu'aux dortoirs en marchant. Mais ça, c'était une autre histoire. Le souffle court, elle resserra écarta deux mèches de sa queue de cheval pour resserrer l'élastique contre son crâne avant de poser ses mains sur ses hanches. Elle aussi avait un poing de côté, du moins un commencement. En avançant, elle se pencha sur la gauche, étirant son flanc.

"Tu as joué avec qui? Des nouveaux t-shirt gris aussi? Tu as gardé le contact avec ceux qui avaient débuté le programme initial en même temps que toi?"

Elle finit par s'arrêter totalement, repliant une jambe pour attrapper sa cheville et étirer sa cuisse.

Hazel s'arrêta progressivement et resta à sa hauteur, faisant un brin d'étirement. Il avait reussi à sympathiser avec elle, en tout cas, au moins à nouer le contact. Peut être était elle quand même réfractaire à se lier avec qui que ce soit, dans ce cas là il tomberait de haut.

Venant d'où il venait il avait du mal à comprendre l'isolement parfois déclenché vis à vis de certaines personnes. A la caserne tout le monde se connaissait et c'était ... Sympa.

- ok ça roule pour moi.

Elle se tripota la mèche et refit sa queue de cheval. Pendant que Bryn s'étirait les quadriceps et les mollets par quelques mouvements que les instructeurs avaient enseigné lors des séances de remise en forme. Dans un geste attentionné, il se massa les muscles d'une main tendre et passionnée. Il était à l'écoute de son corps encore frêle vu son âge.

- Oui on a un petit groupe, on se voit toujours de temps à autre, c'est sympa. On a gardé bon contact. Et toi, tu as des potes ou des copines sur le campus?

Ou alors tu es désespérement seule comme tout le monde s'accorde à baver à ton propos...

Hazel reposa son pied et réitéra l'étirement avec sa seconde jambe, fixant un point quelque part dans le vide devant elle pour garder son équilibre. Bryn était donc de ceux qui attachaient de l'importance au fait d'entretenir un cercle d'amis. Presque tout le monde était comme ça sur le campus, à bien y réfléchir. Les solitaires étaient plutôt rares. L'écossaise avait bien deux ou trois personnes qu'elle fréquentait régulièrement, mais il s'agissait principalement d'échanges de bon procédés. On sympathise vaguement, on s'apporte des connaissances mutuelles quand un devoir doit être fait en groupe, mais ça se limitait au strict nécessaire. Oh, elle était capable de déconner plus de dix minutes sur des sujets superficiels, mais la plupart du temps, considérant ce type d'activité comme une perte de temps, elle n'avait jamais cherché à garder ou créer de réels liens d'amitié. Après tout, tout le monde bougeait beaucoup. Les missions séparaient souvent les agents. Difficile d'avoir un suivit sur du long terme avec des gens qui ne l'avaient pas encore cataloguée.

"Pas tout à fait. Des camarades d'études, des connaissances, mais des amis... Bof."

Les amis, c'était des gens avec qui on parlait à coeur ouvert, non? Depuis ses parents et les employés du zoo, Hazel n'avait plus noué ce genre de lien. Grand bien lui en avait pris, ça avait été moins douloureux de perdre Grandma' après coup.

"Ça doit te paraître bizarre, non? Mais je suis pas associale. Juste pas intéressée."

La fillette préférait mettre les points sur les "i", des fois que Bryn la cataloguerait. Non, il allait immanquablement la cataloguer. C'était dans l'ordre des chose, il n'y avait pas de raison pour que son camarade fasse exception à la règle. En fait, pourquoi elle se justifiait d'abord? Hazel fronça les sourcils en relâchant sa seconde jambe. En même temps, le nombre de fois où quelqu'un était venu faire connaissance en toute connaissance de cause et sans lui balancer une vanne foireuse sur sa réputation dans les cinq premières minutes devait se compter sur les doigts d'une seule main. Ce serait con de faire fuir Bryn quand même. Ce gosse entrait dans le lot des perles rares.

Bryn à l'image d'Hazel, poursuivit ses étirements sérieusement. Au début comme tous les agents qui débutaient il avait pris les choses de façon modeste mais s'était vite rendu compte avec les cours, le sport et le stage initial qu'il ne pouvait pas se passer de cette récupération. Même si maintenant son corps était habitué à l'effort régulier.

Hazel faisait de même face à lui.

- C'est un peu triste, on est une grande famille. Mais ça n'a pas l'air de te brancher on dirait? Ca fait un peu paradoxal dans une structure comme CHERUB, enfin je veux dire dans cet environnement où les "élèves" sont tous plus ou moins frères d'armes... comme à l'armée quoi..

Il fit tourner sa langue dans son palais. Il avait peut être été trop loin avec la jeune fille.

- Enfin c'est mon point de vue... Mais peut être as tu raison... C'est juste que c'est tellement ... Différent....

IL ne fallait pas resté camper sur ses positions non plus. Même s'il comprenait pourquoi cette attitude d'Hazel la rendait impopulaire au niveau des autres.

Triste? Hazel parut étonnée l'espace d'un instant. Elle n'avait jamais trouvé ça triste, juste... Différent à la rigueur. Mais jamais ce terme n'avait été envisagé. Pourtant, elle comprenait le principe de famille, frères d'armes, tout ça tout ça. C'était juste tellement loin de sa manière de travailler qu'elle préférait ne pas trop s'en soucier.

"J'ai pas raison. Chacun fonctionne comme ça l'arrange le mieux. J'ai juste pas le sens de la famille."

Elle haussa les épaules avant de se pencher en avant et enrouler ses bras autour de ses jambes, posant son nez contre ses genoux quelques secondes pour étirer l'arrière de ses cuisses. En se redressant, elle poursuivit.

"Tout le monde est différent. Toi, tu as besoin d'être entouré, d'avoir des choses familières autour de toi. C'est pour ça que Cherub t'a intéressé. C'est proche de l'environnement dans lequel tu as grandi. D'autres encore peuvent changer d'amis comme on change de t-shirt. Moi je préfère juste me concentrer sur l'apprentissage. On a toute la vie pour se faire des potes après tout. Rien ne presse."

Par contre, on était pas nécessairement toute la vie au top pour emmagasiner le plus de trucs.

"Après les "frères d'armes" c'est aussi pas mal hypocrite. Ramasser un camarade dans la boue sur un parcours d'entraînement ne l'empêchera pas de chercher à te plomber pour se faire mieux voir sur l'exercice suivant. De même, s'il faut avoir des amis pour espérer obtenir de l'aide quand on en a besoin, et ben... Là, c'est vraiment triste."

Être impopulaire n'empêchait pas d'être bon camarade, tout comme être une star n'empêchait pas d'être un abruti fini. Cherub avait quelques exemples dans ce genre-là. Comme partout.